Philippine Leroy-Beaulieu, star de la série "Emily in Paris": «Heureusement que j’ai mon âge!»

Marie Rouge

La Parisienne par excellence, tout du moins dans l’interprétation édulcorée du créateur américain d’«Emily in Paris» (Netflix), c’est elle. Philippine Leroy-Beaulieu, dont la carrière est loin d’être naissante, rencontre pourtant une notoriété nouvelle internationale, à contrecourant du diktat du jeunisme hollywoodien. À Lille, lors du festival SériesMania, l’interprète de l’aussi redoutable qu’élégante Sylvie Grateau a tenté d’expliquer, face à un large public, les raisons de ce phénomène.

En 1985, déjà, Philippine Leroy-Beaulieu a flirté avec le terme culte. Le film «Trois hommes et un couffin», dans lequel elle interprète la mère qui livre son bébé comme un «paquet» à son père biologique, devient un phénomène de société. «C’était moderne. La question qu’on se posait alors était: ‘est-ce qu’un homme peut faire le même travail qu’une femme?’ Eh non, effectivement, il en fallait trois!», lance-telle en faisant rire l’assemblée. «Il y avait tout un autre questionnement aussi: ‘comment peut-on avoir un enfant quand on fait un travail de représentation?’ En l’occurrence, mon personnage était mannequin et il lui fallait cacher le fait qu’elle avait un enfant sinon on ne l’aurait pas engagée…». Philippine Leroy-Beaulieu a alors une petite vingtaine d’années et se retrouve nommée aux César. Mais «toutes les propositions qui sont venues après se sont ressemblées», explique-t-elle aujourd’hui. «On essaie de vous tirer vers des choses moins bien. Là où j’ai eu beaucoup de chance, c’est qu’on m’a demandé de faire du théâtre, j’ai pu glisser vers autre chose très vite».

Car, continue la comédienne de 59 ans, «ça arrive à tous les acteurs qu’on tente de les enfermer dans certains rôles. Dès qu’il y a un succès quelque part, on essaie de le répéter. Là, typiquement, avec ‘Emily in Paris’ c’est pareil, il faut que je fasse très attention à ce qu’on me propose. Il y a des Sylvie bis qu’on essaie de me proposer. Mais il ne faut surtout pas que je les fasse. Il n’y a qu’une Sylvie!». Très exposée aujourd’hui, Philippine Leroy-Beaulieu voit le regard de l’industrie changer sur elle. «Je n’en ai pas encore totalement récolté les fruits. Ce que j’aimerais c’est tourner dans quelque chose qui ne ressemble pas à la grande bourgeoise hautaine».

«Sortie de la tombe…»

Même si ces personnages-là, a priori moins sympathiques, elle les aime. «Je n’ai pas peur des personnages pas aimables. Les gens les moins aimables sont ceux qui ont le plus besoin d’amour. On se demande quelles blessures ils ont au fond d’eux et je trouve ça très intéressant d’aller regarder ces personnages», confiet-elle en évoquant son personnage de femme trompée dans la série «Dix pour cent». «Cédric (Klapisch) m’a alors un peu sortie de la tombe. C’était un moment où je ne travaillais presque plus. Et comme je suis têtue, je n’allais pas planter des choux mais j’en avais un peu envie quand même… À un moment, on se demande après quoi on court. Et j’ai bien fait d’aller sur ‘Dix pour cent’». À cette période professionnellement difficile, elle repense avec philosophie. «Les obstacles sont un cadeau de la vie, dès lors qu’on les prend comme des cadeaux, comme quelque chose qui peut nous faire grandir et pas nous détruire. J’étais très têtue dans les moments où j’étais très malheureuse parce que je savais qu’il y avait quelque chose à gagner de ça. Je regarde cette période avec gratitude».

Marie Rouge

Le pied remis à l’étrier, Philippe LeroyBeaulieu voit sa route croiser celle d’une certaine… Sylvie Grateau. Avec «Emily in Paris», pour Netflix (qui a signé pour une 4e saison), la comédienne retrouve une production américaine, plus de 35 ans après la série fleur bleue «L’amour en héritage». Élevée dans son enfance en Italie, Philippine a «toujours été habituée à être en contact avec des gens qui venaient de partout. J’ai une façon d’être qui n’est pas purement française. Même si j’ai un nom super franchouillard!», sourit-elle. «Je suis intéressée par les cultures des pays qui nous entourent, j’ai la chance de parler quelques langues (italien, espagnol, portugais,…NdlR) et donc de pouvoir tourner dans d’autres langues».

Comme en anglais donc, dans «Emily in Paris». Quand elle a reçu le scénario, elle a trouvé «quelque chose d’elle, mais qui n’est pas là en permanence» dedans. «Quelque chose qui a à voir avec mon enfance, ma mère dans la mode, je me suis beaucoup inspirée d’elle. Je n’ai pas eu de nouvelles pendant deux mois après avoir fait les essais, je pensais que c’était fichu et on m’a rappelée. Et là, j’ai commencé à avoir le trac». Philippine Leroy-Beaulieu allait devenir Sylvie Grateau. «Je sentais que c’était un gros machin, mais je ne sentais pas le succès parce qu’à l’époque on n’avait pas Netflix comme plateforme, on était diffusé sur une chaîne du câble américain. Ce n’était pas une exposition comme celle qu’on a finalement eue avec Netflix».

«Le féminin dans toute sa force»

Philippe Leroy-Beaulieu n’imaginait certainement pas devenir une icône auprès de la jeune génération. «Heureusement que j’ai mon âge. Je suis contente d’être plus vieille pour supporter tout ça, j’ai plus de tranquillité intérieure, je vois arriver les choses. Je vis les choses avec beaucoup de bonheur et de calme». Et l’engouement autour de Sylvie Grateau, comment l’explique-t-elle? «Je pense que ce genre de personnage donne la possibilité d’exprimer des choses, qui effectivement nous rendent tous plus confiants. C’est pour ça que je l’adore. Elle fait du bien à moi et aux gens. On prend une confiance en soi et plutôt que de se plaindre de ne pas avoir la position qu’on voudrait avoir dans la société, on la prend. On est tous en train de soulever les problématiques des femmes dans la société, dans le cinéma, mais après, il faut passer à l’action! Il faut écrire plus de rôles comme ça pour les femmes, des rôles qui donnent confiance. Si on veut faire du bien au féminin dans notre société, il faut le représenter dans toute sa force, et pas en victime!».

Le mot «force» revient souvent dans le discours de l’actrice. «La force de Sylvie m’a beaucoup appris sur ma propre force, dont je n’avais pas forcément conscience. Et au fur et à mesure que je la joue, il y a des choses d’elle qui entrent en moi et des choses de moi qui vont en elle. Ce qui ne m’appartient pas et qui est à Sylvie c’est son snobisme –qui me fait pisser de rire– et une arrogance protectrice. J’espère vraiment qu’aujourd’hui les femmes n’ont plus besoin de cette arrogance-là pour avoir des postes à responsabilités, parce que ça nous enlève d’autres choses. C’est ce que j’appelle le mode rhinocéros». Sylvie arrogante, Sylvie élégante surtout. «C’est totalement un rôle à costumes. Il y a un postulat dès le début dans cette série qui est: un jour, un costume. On ne le remet pas. C’est très amusant –parfois un peu épuisant, je préférerais mettre des bottes en caoutchouc pour aller dans la boue… ce que je fais d’ailleurs– ces essayages. C’est très amusant les tenues excessives, qu’on ne soit pas du tout dans le réalisme. ‘Oui, elle peut aller au bureau comme ça!’». Parfois aussi, les tenues de Sylvie Grateau sont plus légères. «Ce qui m’a surprise, c’est qu’ils prennent l’actrice la plus âgée de la distribution et qu’ils me mettent en maillot de bain. Y’a quand même trois actrices super bien gaulées de 30 ans… Mais il y a un truc sur la liberté des femmes plus âgées que Darren Star (le céateur, NdlR) a envie de raconter».

Et entre deux icônes présentes dans votre Max, Marcia Cross et Philippine Leroy-Beaulieu, le lien est fait. L’actrice française avoue ainsi que pendant le tournage de la saison 3 d’«Emily in Paris», elle s’est enfilée tous les épisodes de «Melrose Place», qu’avait créé à l’époque Darren Star, le même père que celui d’«Emily in Paris». «Marcia Cross c’est la vraie méchante! I love her so much!». Et entre la série de Netflix et le soap des années 90, un point commun qui fait le succès: l’écriture. «Darren Star a un style dont on peut dire qu’il est un peu kitsch mais c’est un style voulu. Et c’est grâce à ça qu’il fait passer tout ce qu’il fait passer. Je ne balaierais pas ça d’un coup de revers un peu méprisant, ce qu’on a dit ça en France quand la saison 1 est arrivée (…) Je m’attendais à entendre ça, parce qu’on touche à notre culture, notre ville, on n’aime pas top que les Américains viennent nous raconter. Je m’y attendais aussi parce qu’en France, on a tendance à vouloir être dans le naturalisme, dans le réalisme. Mais un auteur a le droit d’avoir une vision, une interprétation, il a le droit d’idéaliser Paris et de mettre des paillettes partout et de faire comme il veut!».