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Rencontre avec Marie Gillain : "Le mariage je trouve ça très beau… mais chez les autres"

À 16 ans, elle devenait l’enfant chérie du cinéma français. Trente ans plus tard, elle demeure l’une de nos plus belles représentantes sur grand écran (et au théâtre, comme en ce moment, qui lui vaut une nomination aux Molières). La vie d’actrice, elle l’a compris, «ce sont des cycles, parfois douloureux aussi». Mais aujourd’hui, Marie Gillain, que la délicieuse belgitude n’a pas quittée, est dans une période «de renaissance», sourit-elle…

« Ces derniers temps, j’ai plutôt beaucoup retravaillé, je suis dans une dynamique autre», nous confie Marie Gillain, cool et bavarde, autour d’un café dans un bistrot parisien. «C’est-à-dire que pendant très longtemps je privilégiais beaucoup ma vie de famille et, depuis deux ans, je suis au contraire dans une dynamique de travail, parce que le travail me ressource. Le tableau s’est un peu inversé. Le travail est devenu une bulle d’oxygène dans ma vie quotidienne».

Et c’était une volonté de votre part?

Oui. Je me suis rendu compte à un moment que, comme tout parent bienveillant, on donne beaucoup à ses enfants (elle a deux filles de 13 et 18 ans, NdlR). Et en plus, j’ai une personnalité très entière et quand je donne, je donne énormément. Mais il y a des moments où il faut savoir se recentrer, se remettre au centre de sa vie un petit peu. Ce que j’ai fait. J’ai réalisé aussi qu’en faisant passer avant tout ses propres besoins et ses désirs, on est mieux avec sa famille, avec les autres. Ce n’est pas gagné, je n’y arrive pas toujours…

Vous dites que vous donnez beaucoup…

Oui mais ce n’est pas dans le sens «je suis quelqu’un de très généreux». C’est que, quand je m’engage dans quelque chose, je m’engage vraiment et ça a pu être un souci.

Vous dites qu’avant tout, quand vous choisissez un rôle, ce n’est pas le succès critique ou public à venir qui vous guide, mais c’est l’aventure humaine… Et si celle-ci est pourrie?

En réalité, on a plus de maîtrise sur son rapport humain avec les autres que sur un pseudo succès ou une popularité ou de la reconnaissance. On a davantage ce pouvoir d’agir. Même si la magie n’opère pas à chaque fois, il y a toujours quelque chose qui me fait du bien dans un projet.

Pascalito
Pascalito
Pascalito
Pascalito
Adele Adjou
Adele Adjou

Il y a tout de même une frustration quand le succès n’est pas forcément là, même si on ne le maîtrise pas?

On ne va pas se mentir, on est quand même des êtres vulnérables, on n’est pas acteur par hasard. Évidemment que c’est plus agréable d’avoir des spectateurs dans la salle. Au théâtre, là on joue une comédie et c’est vraiment un échange direct avec le public. La pièce («Sur la tête des enfants») plaît, c’est vrai, mais on est dans une période particulière avec des manifestations –et je suis totalement pour!– et le théâtre est situé près de République, on a donc eu des soirs particulièrement difficiles avec les CRS, les manifestants, les gaz lacrymo devant le théâtre et le rideau de fer pour qu’il n’y ait pas d’incidents dans la salle. Ça a été quand même assez anxiogène. La période n’est pas facile et quand on voit que les spectateurs se déplacent quand même, on partage un moment qui fait du bien.

Et le succès au cinéma?

Au cinéma, c’est tellement le jackpot, c’est tellement dur de monter des films. Ce qui compte le plus pour moi, c’est de me dire que j’aime le film, ou la série, que je suis fière d’avoir participé à l’aventure. Et après, si ça marche, évidemment que c’est bon pour nous acteurs. Le succès amène le succès.

Et quand on tourne moins, qu’on a moins de projets professionnels, on se dit quoi?

Il y a plein de périodes différentes avec des causes différentes au fait de moins tourner. J’ai été très gâtée dans le début de ma vie d’actrice. Et, à un moment, on finit par penser que c’est normal le succès. Que c’est normal de recevoir des tonnes de scénarios… C’est une réaction humaine classique. Même si j’avais toujours conscience de la chance que j’avais... Ce qui a été assez intéressant dans mon parcours c’est que cette normalité, à un moment, n’était plus normale et j’ai dû franchir des caps, où on me proposait des rôles moins intéressants, des rôles de très jeunes filles alors que j’étais mère de famille. Et ça ne m’intéressait pas d’encore jouer les jeunes filles. Donc, il y a eu ces phases où j’ai moins tourné, par choix. Où je me suis un peu accrochée, pendant quelques années, à mon roseau: «je vais plier mais je ne vais pas céder». Puis, il y a des moments aussi où on décide finalement de lâcher prise. J’ai lâché prise, j’ai eu vraiment une phase où j’ai lâché toute forme de désir pour ce métier et évidemment, bizarrement, c’est toujours là que ça revient. Et quand c’est revenu, il y a eu une telle joie et une envie que les choses durent! Et une conscience que c’est tellement fondamental pour moi. Là, je suis bien consciente qu’être actrice, ce sont des cycles et qu’il faut l’accepter, même si c’est douloureux. On est parfois un peu dans le creux de la vague, mais ça permet de se ressourcer aussi. Je suis maintenant dans une période presque de renaissance, avec plein de choses qui se passent.

Vous éprouvez une fierté tout de même à avoir plus de 30 ans de carrière?

C’est une forme de fierté. Parce que quand même, malgré tout, c’est long, et un parcours d’acteur est semé d’embûches. Il y a quand même plus de doutes que de satisfaction. Il faut tenir psychologiquement, ce n’est pas rien. Il faut être sacrément fort à l’intérieur et en même temps, il y a cette fragilité. Mais c’est comme tout le monde, il faut apprendre à vivre avec soi, et apprendre à apprécier cette personne qu’on est. Et ça fait du bien d’avoir des périodes de reconnaissance, de se dire qu’on ne l’a pas volé. Est-ce qu’il y a une forme de justice? Je ne sais pas si on peut dire ça, parce que ce métier est profondément injuste…

Vous avez toujours voyagé avec le cinéma, vous êtes allée voir en dehors des frontières…

Oui. Petite, déjà, je voulais toujours aller chez les voisins, j’avais toujours envie de voir du pays, j’étais une enfant ultra-sociable. Cette sociabilité s’est un peu restreinte par mon métier qui fait que, même si on est sans filtre, on apprend un peu à se protéger. Mais je reste quelqu’un d’assez sociable. Et de par le fait que je viens de Belgique et que le Belge a toujours été le petit provincial du Parisien, j’ai toujours eu ce positionnement en décalage avec la vie parisienne et cette identité «françaiiiiiise» (elle le prononce en forçant l’accent français, NdlR). Et quand on est belge, qu’on voit les Parisiens qui s’écoutent parler, fort, qui sont au centre de tous les sujets, ça amène toujours une notion d’humilité. Je me sens belge mais les Belges sont aussi à la croisée des chemins dans les identités culturelles. C’est pour ça que j’ai toujours été attirée par tous les projets européens. Je ne me sens pas du tout française. Alors, par la force des choses, évidemment que je suis devenue une Parisienne –je vis ici depuis presque 35 ans.

Vous revenez encore souvent en Belgique?

J’essaie d’y retourner souvent parce que c’est important pour notre famille. J’ai mon papa que j’adore mais on est une famille de femmes quand même. J’ai une sœur, donc on était trois filles à la maison. Moi maintenant, j’ai deux filles, on est quand même une tribu de femmes assez puissantes, on a vraiment besoin les unes et des autres et on s’arrange pour se voir quand même régulièrement. Ce rapport féminin est assez central. Mon père a accepté aussi avec les années que quand il y a une force féminine, il faut lâcher prise à un moment! Puis, mes parents sont divorcés, ça a aussi impliqué une autre organisation.

La question de prendre la nationalité française ne s’est jamais posée?

J’ai toujours mon passeport belge! J’ai fait la grosse connerie à un moment de changer mon permis belge en permis français. C’était une grosse connerie administrative parce qu’évidemment j’ai perdu tous mes points! (sourire) Mes deux filles aussi sont belges et elles en sont très fières! Je me sentirai toujours belge et comme j’ai quitté mon pays très jeune, c’est un peu comme dans le bouquin de Paulo Coelho: le trésor est au bout du jardin et il faut faire le tour du monde pour s’en rendre compte. Tout ce que j’ai connu dans mon pays, c’est un bagage immense dans ma vie d’aujourd’hui.

Ce choix de vivre à Paris a été évident dès le départ?

Pour moi, au départ, c’était une vraie envie. Dès mes 13 – 14 ans, je voulais partir de la maison. Je voulais voir du pays, faire le Conservatoire de Paris,… Mes parents me disaient de d’abord faire celui de Liège. Me retrouver à Paris dans mon premier studio, c’était une joie immense. Ça m’a énormément plu. Je voulais vraiment quitter ma ville natale, je voulais quitter Liège, il faut être honnête. Mais avec les années, je me rends compte que mes racines me rattrapent. Je me suis créé aussi un petit cocon à la campagne à une heure de Paris. Cette maison ressemble un peu à ma Belgique.

Vos parents ont-ils eu beaucoup de craintes quand vous avez débarqué à Paris?

Je crois qu’ils n’ont pas vraiment eu le choix parce qu’ils ont senti qu’il y avait quelque chose de tellement fort en moi. Puis, ils ont été rassurés aussi parce que ce n’est pas la même histoire de se dire que sa fille est choisie pour faire un premier rôle dans un film avec Gérard Depardieu (le culte «Mon père ce héros», NldR), à l’île Maurice, que de jouer dans «L’amant» pour lequel j’avais passé le casting. Ça, ça aurait été plus touchy. Après, ça a été un énorme chamboulement dans notre vie de famille, il a fallu gérer ça tous ensemble. Ça a forcément éclaté une partie de ma famille, ca été comme un tsunami. Et c’est logique. 

La notoriété vous a-t-elle fait peur par moments?

Oui, j’en ai eu peur, particulièrement très jeune. Ça a eu un impact très fort sur la construction de ma personnalité. Après avoir fait «Mon père, ce héros», quand je suis retournée au collège en Belgique, tout le monde me regardait comme un animal de foire. Je me suis alors créé un groupe d’amies qui étaient un peu marginales. J’ai des souvenirs pas toujours très cool. Je passais mes temps de midi enfermée dans les toilettes parce que le regard des autres était tellement fort… Ce n’était pas forcément de la malveillance mais, tout à coup, on a du mal à être totalement soi-même parce que les autres vous regardent d’une façon extrêmement insistante, envahissante. J’ai plutôt eu des périodes où je longeais les murs. Bizarrement, c’est à cette époque-là que j’aurais dû normalement vivre mon adolescence sans penser au regard des autres en permanence. Ça m’a appris aussi à me détacher de ce regard un maximum. Et c’est d’ailleurs pour ça que je pense ne pas m’en être trop mal sortie: je suis habituée à ça depuis tellement longtemps que, quand mon entourage me dit qu’on me regarde bizarrement en rue, moi je ne fais même pas attention. Après, une carrière de comédienne c’est long. Et maintenant, la jeune génération, souvent, ne me connaît pas. Le jeune comédien, Nathan, qui joue avec moi dans la pièce, m’a avoué –et je le savais– qu’il ne me connaissait pas. Et c’est normal, on change de génération! Cette énorme notoriété que j’ai pu vivre plus jeune est maintenant totalement tranquille. Tout va bien! Je suis quand même pépère. (sourire)

Aujourd’hui, vous pensez avoir quelle image?

En Belgique, les gens me connaissent quand même bien, il y a un rapport de proximité. Et on sait qu’on a tous plus ou moins une forme d’autodérision. Mais en France, je crois que j’ai eu cette image, certes sympathique, d’une forme de sagesse, de quelqu’un d’assez appliqué, peut-être «classique». Alors que je pense être un peu tout le contraire! (sourire) J’ai profondément ça dans mon ADN belge. Mais je n’ai aucune maîtrise sur mon image et, de plus en plus, je m’en fous!

Quel est alors l’adjectif qui vous définirait le mieux?

Ce qui me fait plaisir c’est quand on dit de moi que je suis une actrice engagée. Mais engagée dans mon métier, je ne prétends absolument pas être un exemple d’engagement. Je ne suis pas du tout politisée. Et je le regrette souvent, j’aimerais prendre plus la parole. Mais j’ai toujours cette idée que les comédiens sont un peu apatrides et le terrain d’engagement est dès lors artistique, ce sont les projets qui racontent des choses, les combats à mener.

Et votre image quand vous aviez 25 ans, vous y prêtiez davantage attention?

Je ne m’en foutais pas moins mais j’avais moins de maîtrise et de conscience de ça. La réalité, c’est que comme j’ai commencé très jeune, je n’ai pas du tout eu cette phase –qui n’est pas obligatoire d’ailleurs– de crise d’adolescence, de rébellion. Je n’ai pas eu le temps de me rebeller, j’ai mené ma barque, j’ai été propulsée dans un monde d’adultes extrêmement jeune. J’ai géré pendant des années comme une professionnelle, comme une grande qui gère sa carrière, son image, sans débordement. J’ai toujours été à l’heure, un peu scolaire finalement. Et je trouve ça normal, très sain. J’étais bonne élève, je ne faisais pas de vagues. C’est ce qu’on m’a appris dans ma famille: quand on travaille, on se doit d’être à l’heure, agréable avec les gens. Pour moi, être acteur ce n’est pas défoncer les chambres d’hôtel, se bourrer la gueule et arriver décalqué…

Quand les représentations parisiennes de la pièce seront terminées, vous retournerez au cinéma?

Oui. Je vais refaire en septembre un film avec Grégory Gadebois (avec qui elle vient de tourner «Les choses simples»), une magnifique histoire d’une sœur et de son frère autiste réalisée par Hélène Médigue (les fans de «Plus belle la vie» se souviennent d’elle comme de Charlotte, NdlR). Et après, j’enchaînerai avec un film en costumes d’Elie Chouraqui, avec Kad Merad, qui se déroule pendant la Seconde Guerre mondiale. C’est une histoire vraie, celle du grand-père d’Elie qui a transporté des grandes œuvres d’art pour les cacher.

Au théâtre, dans cette comédie «Sur la tête des enfants», on évoque notamment le thème du mariage. Votre personnage, Julie, n’en veut pas, car elle ne veut pas être forcée d’aimer son partenaire… Vous-même n’avez jamais été mariée. Ça résonne en vous?

Oui, je dois avouer que dans tout ce que j’ai vu autour de moi du mariage, ce n’est pas quelque chose qui m’attire fondamentalement. J’ai toujours considéré que c’était une forme d’esbroufe en fait. Et à la fois, je trouve ça très beau… mais chez les autres.

Et la fidélité, thème abordé aussi dans la pièce, c’est beau chez les autres?

(sourire) Non, là c’est très différent. Autant le mariage, c’est comme si on signait un arrêt de mort du couple. Je trouve que les enfants, à chaque fois, c’est un mariage, c’est un contrat dans lequel on s’engage, au jour le jour, qui se construit petit à petit. Au bout d’une quinzaine d’années on peut dire qu’on est encore là, qu’on a survécu avec le quotidien des enfants –c’est aussi être en désaccord sur l’éducation parce qu’on ne vient pas du même milieu, on a des façons de voir les choses de façons différentes. C’est le pari le plus compliqué. Se marier et ne pas avoir d’enfant, je trouve ça beaucoup moins compliqué. Mais la fidélité, c’est complètement autre chose. Je ne sais pas si c’est le fait de vieillir, mais franchement, ce n’est pas du tout une question pour moi. Ce serait plutôt de me dire: «comment faire pour continuer à avoir envie d’être en couple, pour continuer de passer du temps avec la personne avec laquelle on vit?». Ça, c’est la vraie question parce que je ne me sens pas du tout profondément fidèle ou infidèle. Je constate juste que je suis extrêmement fidèle mais je ne l’ai pas décidé en fait. C’est ma vie qui m’a emmenée vers ça.

Marie Gillain est nommée ce lundi au Molière de la meilleure comédienne pour la pièce «Sur la tête des enfants» (avec Pascal Elbé) qui se joue en ce moment au théâtre de la Renaissance à Paris
 

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