Son premier roman, « Concert au réfectoire à 16h30 », à destination des grands –après s’être longtemps consacrée aux livres pour la jeunesse– est drôle, cynique et tendre à la fois. Et c’est un burn-out, nous dit la toujours pétillante Maureen Dor, qui l’a conduite à l’écrire. Mais ce n’est pas pour autant que l’éditrice, qu’on a d’abord connue vedette du petit écran, se considère comme une autrice. Elle aspire à une chose: «que je me foute la paix!», sourit-elle.
Maureen, on vous connaît animatrice, comédienne, autrice, éditrice,…Comment vous décririez-vous le mieux ?
Je suis une femme, ce qui est important pour moi, de 52 ans. Je suis une mère. Et une femme qui commence à être apaisée et qui se dit que plein de choses sont encore à faire. Mais j’espère les faire de manière plus sereine. J’ai enfin compris qu’il n’y a pas de gagnant à la ligne d’arrivée. Ca ne sert à rien de vouloir absolument être en tête de peloton, il n’y a pas de coupe à la fin. Ca peut paraître très con, il y a peut-être des gens qui savent ça depuis toujours, mais moi je ne le savais pas. Et je l’ai payé cher, j’ai fait un burn-out. Et ça y est, j’en suis sortie. J’ai compris : je vais me foutre la paix ! (sourire)
Pourquoi pensiez-vous que vous deviez arriver en tête de peloton, atteindre quelque chose d’inaccessible ?
Je pense que j’avais très envie qu’on me regarde, qu’on me voit. Comme si j’avais l’impression depuis le départ qu’il fallait que je le mérite. Je dis souvent, en rigolant, que j’aurais adoré être belle et mystérieuse. Le genre de gonzesse qui ne dit rien mais qu’on trouve hyper intéressante ! La légende familiale dit que petite, dès que j’ai su écrire, j’ai écrit une pancarte « Votez pour moi ! ». J’ai eu besoin, parce que j’étais la cadette, d’une sœur très jolie, d’une maman qui bossait beaucoup, d’aller chercher avec mes dents le fait qu’on me regarde. Et ça n’a pas lâché pendant des années.
C’est justement pour être vue, aimée, que vous avez fait de la télé très jeune ?
Oui, je pense. Après, je ne rêvais pas de faire de la télé. Ce n’était pas dans mon schéma mental petite, mais j’ai toujours fait des spectacles à l’école. La télé, c’était une opportunité. J’ai fait un casting à 17 ans et demi sans savoir vraiment…Ca m’est tombé et c’était chouette. Avec le recul, je me rends compte que ce que j’aime, ce sont les expériences. Et là, à 17 ans, je me retrouvais sur les arrières des bus, sur les panneaux et cette attention-là, que n’avais pas des mecs, parce que je n’étais pas la star de l’école, je l’ai trouvée là.
Ce challenge-là, de la télé, dure quand même de longues années. Puis, bien années plus tard, vous décidez de lancer votre maison d’édition (les éditions Clochette), de livres pour enfants. Qu’est-ce qui provoque ce basculement ?
La bascule a été lente, même si j’ai toujours été une grosse lectrice. Je bossais comme chroniqueuse chez Laurent Ruquier (« On a tout essayé ») et je ne m’entendais pas vraiment avec la productrice, Catherine Barma, je ne faisais clairement pas partie de ses têtes. J’avais commencé à écrire des chansons de mon côté, un court-métrage aussi, puis un long. A partir du moment où j’ai commencé à faire les choses moi-même, j’ai vu ce que c’était la difficulté de faire les choses. Alors, quand vous êtes chroniqueuse et que vous recevez quelqu’un qui a mis 4 ans à faire son album ou son film, là j’ai commencé à réfléchir. Or, à la télé, il ne faut pas réfléchir, c’est de la pulsion absolue. Et je devenais moins bonne puisque je n’arrivais plus à dire les choses, j’étais moins drôle. Je ne me suis pas fait virer mais j’ai bien compris que je n’étais plus dans les petits papiers de Laurent. DE deux fois semaines, je ne venais plus que une fois tous les 15 jours. C’est un peu humiliant quelque part. Je pense que Laurent en avait un petit peu marre de moi…je peux le concevoir, moi-même j’en avais marre de moi !
Et comment se passe la transition ?
C’est dur, parce qu’à la télé on gagne bien sa vie…en tout cas à l’époque ! (rires) L’année de mes 40 ans, j’ai eu envie d’être ma propre patronne. Et comme j’avais des enfants jeunes, je me suis dit que j’allais créer ma maison d’édition, des livres pour la jeunesse.
Aujourd’hui, une dizaine d’années plus tard, vous publiez votre premier roman, pour les grands, « Concert au réfectoire à 16h30 »…
A 50 balais, j’ai fait un burn-out, je n’arrivais plus, je stressais trop. Comme les interactions professionnelles étaient compliquées, je me suis, dans ce trou noir, recroquevillée sur moi-même. Et il y avait ce scénario (la base de ce livre, NdlR) qui existait. Je me suis dit que j’allais me coltiner toute seule à cette histoire et je me suis lancée dans cette écriture en me disant « on va voir ».
Ce livre c’est donc l’histoire d’un père, chanteur romantique, qui se rend dans des maisons de retraite pour y donner des concerts, apporter un peu de joie. Mais les intentions du père et de la fille ne sont pas que nobles. Elle essaie aussi de se faire coucher sur certains testaments…
A l’origine, l’idée est de parler de tous ces gens, chanteurs, musiciens, qui font leur métier pas pour Wembley, mais pour des petites audiences. Lui, Hervé Vincent chante devant 45 personnes avec des sonotones et il est content. Des gens comme ça, il y en a beaucoup, et ils sont moqués, parce qu’ils n’ont pas la carte soi-disant. Mais ils sont utiles. Puis, il y a sa fille, qui a été abandonnée par sa mère et veut une revanche très forte sur la vie. Et elle a trouvé le moyen de se faire coucher sur les testaments des personnes âgées via lui. Mais en fait, ils ne lui font pas de mal, les personnes à la limite auxquelles ils font du mal, ce sont les héritiers !
D’où cette phrase en accroche du livre : « soyez gentils avec vos enfants, ce sont eux qui choisiront votre maison de repos »…
Exactement. Et, de la même façon, peut-être que certaines âgées sont seules dans leur maison de repos parce qu’ils ont été d’horribles parents. Le propos est là aussi. C’est vachement réducteur de voir les personnes âgées comme des vieux diminués. On peut être vieux sympa, con, dynamique,…
Votre écriture est incisive, drôle…
Avant de commencer à écrire, je ne connaissais pas ma voix écrite. J’ai fait plusieurs versions et l’une des versions m’a fait peur. C’était beaucoup plus cash que je ne l’étais dans la vie ! (sourire) En fait, je crois que j’ai mis par écrit ce que je pensais vraiment. J’ai donc mis un peu de l’eau dans mon vin d’écriture. Mais ce n’est pas parce que j’ai écrit un livre que je suis autrice…
Vous parlez de votre voix écrite. Quid de votre voix parlée, très particulière ?
Qu’elle soit particulière, je m’en suis rendue compte parce que souvent on me dit « je vous ai reconnue à la voix ! ». Ca me vexe parce que je me dis : « quoi, on ne m’a pas reconnue à mon physique ? » (sourire) Quand j’avais 17 ans, Claude Delacroix de Radio 21 m’a dit : « toi tu as une voix de canard, tu feras jamais de radio ». Il y a pas mal de gens en Belgique qui m’ont tapé sur la tête. Les Belges sont forts pour dire aux gens de ne pas péter plus haut que leur c***. En fait, elle m’a desservie cette voix. Longtemps, quand je faisais de la radio chez Laurent Ruquier, quand je disais quelque chose, si l’info était un peu particulière, on se foutait de moi, on ne me prenait pas au sérieux. Mais au moins j’ai une signature vocale…qui fait qu’on ne me prend pas au sérieux, mais c’est comme ça !
La télé, ça représente quoi pour vous aujourd’hui ?
Un très bon passé. Mais ça ne représente pas de présent et a priori pas de futur. Mais il ne faut jamais dire « fontaine je ne boirai pas de ton eau ». Surtout que je suis bonne là-dedans…
Il y a quelques mois, vous avez adressé une lettre à l’émission « Envoyé spécial » qui consacrait un reportage à l’affaire Hulot pour dire qu’il vous avait agressée quand vous n’aviez que 18 ans. A quel point le mouvement #metoo, la libération de la parole des femmes, vous a aidée à témoigner ?
Ca ne m’a pas aidée. J’étais en fait trop âgée. Et je n’en ai pas été traumatisée à ce point. J’ai écrit la lettre, je ne voulais pas passer à l’antenne pour éviter qu’une seule seconde on se dise que je me fais de la pub ou je ne sais quoi. Mais j’ai fait ce témoignage pour témoigner d’un truc bien plus important que Nicolas Hulot, dont on ne parle pas assez. C’est ce trou dans la vie des jeunes femmes entre 15 et 25 ans, qui est un moment charnière et la plupart des femmes qui se font agresser sexuellement ont souvent entre 15 et 25 ans. Il y a un malentendu qui fait qu’elles sont en danger. Soit elles se mettent en danger par naïveté, ce qui m’est arrivé. Je suis montée dans cette chambre parce que, pas une seconde, j’ai pu penser que cet homme avait une arrière-pensée. Je n’avais pas l’impression que c’est quelque chose que je générais, j’étais cul-cul la praline. Je me suis mise en danger par naïveté. A l’inverse, certaines jeunes filles, très sexuées, peut-être, vont donner à croire qu’elles s’en foutent de leur sexualité, qu’elles sont super libres, mais ce n’est pas vrai. Et elles vont donner cette impression aux hommes. Entre 15 et 25 ans, c’est très important, il faut les aider ces jeunes filles et surtout ne pas les condamner. Surtout pas leur dire : « qu’est-ce que tu faisais dans cette chambre ? dans cette voiture ? ». Parfois, les femmes elles-mêmes ont ce genre de phrases : « mais enfin tu as vu comme tu es habillée ? T’avais pas qu’à... » Une jeune femme qui donne l’impression qui se retrouve une situation qui donne l’impression qu’elle l’a cherché, je n’y crois pas, ce n’est pas vrai. Elle ne l’a pas cherché. Soit elle été naïve d’un amour auquel elle a cru, soit d’une image qu’elle ne générait pas bien. C’est de l’éducation, c’est les entourer mais surtout pas les condamner. Ca, c’est ajouter de la peine à la peine. Il y a des mots qui sont interdits. Dire « tu as vu comme tu étais habillée ? », ça, c’est interdit ! Et ce n’est pas « faites attention à vos filles ». C’est « faites attention à vos garçons ! ».
Découvrez le podcast de l'interview de Maureen Dor ici :