Accueil Max Vie quotidienne

Rencontre avec Clara Luciani, un «cœur sur pattes», vintage et à la fois bien dans son époque

Ne pas être dans la tendance. Ni musicalement, ni dans le style. Elle est fascinée par les années 60 mais à la fois « contente d’être une femme en 2021 ».

La sortie du deuxième (et excellent) album de Clara Luciani, « Coeur », est l’occasion de parler sentiments avec elle, d’évoquer son hypersensibilité et de papoter mode…vintage bien sûr !

Clara, vous le dites depuis le succès monumental de « La grenade » : votre crainte est de n’’être l’artiste que d’un seul tube. Des chansons qui cartonnent, vous en avez fait d’autres depuis. Vous devez être rassurée…

Oui, mais bon, rien n’a jamais aussi bien fonctionné que « La grenade » qui a été un tube repris dans les manif’. C’est une chanson qui a pris des proportions démesurées, qui m’ont en tout cas dépassée. Je me suis demandé ce qui se passait. Du coup, après ça, c’est compliqué, parce qu’on voudrait retrouver une chanson de la même ampleur, faire aussi bien. Et c’est dur parce que je ne peux pas écrire une deuxième «Grenade». Ce tube, ce sont aussi les gens qui l’ont fabriqué. Nous, on propose des chansons, et c’est le public qui les choisit. Et si le public n’aimait pas cet album-ci, ça me briserait le cœur !

Effectivement, vous êtes loin de refaire la même chose sur ce 2e album, « Cœur ». On retrouve votre musique, mais teintée cette fois de disco…

Je me suis demandé comment faire pour revenir en étant à la fois suffisamment surprenante pour ne pas ennuyer les gens et fidèle à moi-même. C’était compliqué à trouver cet équilibre. Je voulais que cet album soit lumineux, je pense que ça, je l’ai réussi.

C’est cette période sombre qu’on vient de traverser qui vous a donné envie d’être plus lumineuse, d’aller vers le disco ?

Je ne serais pas allée autant vers ça, en effet, s’il n’y avait pas eu cette période. Je crois que ça m’a vraiment décomplexée. Je me suis dit : « C’est le moment de se faire du bien, de ne pas avoir honte de faire ça ».

Edition numérique des abonnés

Parce qu’il y a toujours une petite honte à faire du disco ?

Dans la chanson française, il y a quelque chose de très prétentieux. Souvent, on doit choisir entre faire des choses très écrites et des choses plus légères et dansantes. Ce choix-là ne m’intéresse pas. Moi je veux faire du populaire, des chansons qui passent en radio et en soirée sur lesquelles les gens peuvent danser bourrés et, en même temps, faire des choses profondes et sensibles. Ce que je voulais c’est que cet album ait deux visages, comme moi en fait.

Est-ce que le fait d’être une artiste accentue encore plus ce côté à deux visages chez vous ?

Je pense que oui parce que c’est une vie qui est pleine d’oppositions. On est à la fois très accompagné et parfois on est très seul. On est adoré, puis détesté. Il y a beaucoup de choses en opposition dans ces carrières-là et du coup, forcément, ça nourrit une forme de bipolarité…relative évidemment ! (sourire)

Vous parvenez à la gérer cette détestation, cette haine qu’un artiste peut générer ?

Haine est le bon mot. Il y a des messages, des personnages haineux, vraiment, et c’est super dur. Heureusement, ça trouve son équilibre avec l’immense amour que d’autres sont capables de donner. Mais il y a de véritables démonstrations de haine sur les réseaux. Je suis stupéfaite, je ne parviens pas à imaginer un être humain faire ça! Quand on m’envoie des trucs cons et méchants, je réponds. Parce que je déteste l’impunité, ça m’agace de me dire que ces gens-là, sous couvert de l’anonymat, peuvent être abjects.

Vous vivez bien dans votre époque. Mais en même temps, vous êtes fascinée par les années 60 et 70, sans pour autant être en décalage…

J’essaie de ne pas être dans le pastiche, ou l’idée de l’éternel recommencement. Les années 60, malgré le fait que je les adore, sont derrière nous. Et je suis aussi très contente d’être une femme en 2021 parce que j’ai l’impression que ma position aujourd’hui est un peu plus facile qu’à l’époque, même s’il reste du chemin à faire… Il y a plein d’aspects pour lesquels je suis heureuse d’être née en 1992 et pas avant! (sourire) Même si je suis irrésistiblement attirée par une esthétique passée.

Mais d’où ça vous vient ?

Peut-être des «Demoiselles de Rochefort». Depuis petite, c’est une obsession ce film pour moi. Ça a une part de responsabilité dans mes choix aujourd’hui.

Dans la chanson française, il y a quelque chose de très prétentieux.

Quand vous dites être heureuse de vivre dans cette époque-ci, ça implique le fait de pouvoir aujourd’hui dire «ton cul» dans une de vos chansons ?

Oui, je ne pense pas que dans les années 60 ou 70 une femme aurait pu le chanter. Par contre, Gainsbourg, lui, aurait pu le dire. C’est fou quand même, on entend aujourd’hui des trucs horribles dits par des rappeurs et ça n’interpelle personne et moi, je dis «cul» dans ma chanson («Le reste») et j’en entends parler tous les jours !

Vous vous êtes posé la question de l’utiliser ou pas ce mot ?

Oui. J’ai envoyé la chanson d’abord à mon père et il m’a répondu: «quand même, ce mot «cul» dans ta bouche, c’est pas joli». Et c’est exactement parce qu’il a trouvé ça pas joli que j’ai voulu garder le mot, par provocation (sourire). Pour moi, c’est même une suite logique à «La grenade». Là, je réclamais des droits. Maintenant, je les prends, en étant libre de dire tout ce qu’on veut.

Le cœur est un autre mot central pour vous. C’est le titre de l’album et il est présent dans chacune des chansons, sauf une…

J’ai toujours adoré ce mot, même visuellement, ces deux lettres qui s’enlacent. Et puis, un jour au téléphone avec mon papa, je me plaignais de mon hyper sensibilité. Tout ce qui touche à peine les gens, moi, me bouleverse, je vais prendre trois jours à m’en remettre, c’est terrible! Et il m’a répondu : «toi, de toute façon ma fille, tu es un cœur sur pattes!» J’ai trouvé ça trop mignon comme image !

On sent un profond attachement à votre famille. Comment gérez-vous la distance, vous à Paris et sur les routes et votre famille dans le sud ?

Pas très bien. J’ai besoin qu’ils soient là. On a toujours été très fusionnels dans la famille. J’ai besoin de faire les choses en bande aussi, avec les gens que j’aime. C’est pour ça que je chante avec Julien Doré aussi. On s’est bien trouvé. On vient du même endroit, on a les mêmes origines sociales, ça a contribué aussi peut-être au fait qu’on s’entende si bien. Et on a réalisé récemment que nos deux grands-pères mineurs travaillaient tous deux dans la même mine d’Alès. C’est fou !

Edition numérique des abonnés

Votre parcours artistique est un peu, et c’est de plus en plus rare, «à l’ancienne»…

Oui, je n’ai pas mis une vidéo sur Internet et le lendemain j’étais devenue une star. Je ne pense pas que j’ai suffisamment confiance en moi ni que j’ai un caractère qui aurait survécu au phénomène de buzz. Je ne suis pas faite pour ça. Dans l’idée du buzz, ce qui me dérange, c’est la rapidité du truc. Je pense que j’ai eu un parcours idéal et je ne changerais rien. J’ai ramé et c’est très bien. Il n’y a rien de plus formateur que d’avoir souffert pour avoir ce qu’on a.

Dans la chanson «Le chanteur», vous dites qu’on n’épouse pas un chanteur, que c’est comme mettre un lion en cage. Ca vous a été inspiré par quoi, qui ?

Ca me faisait un peu penser à «La groupie du pianiste». Et puis, on n’épouse pas les chanteurs parce que c’est quand même un peu fou cette vie qui est totalement à l’inverse de la vie maritale, classique. On ne peut pas se fixer, s’établir. On est chaque jour dans un endroit différent, est-ce que c’est compatible avec le mariage? Je me demandais, si un jour j’avais un enfant, comment je ferais pour gérer. Les chansons sont toute ma vie, comment fait-on de la place à quelqu’un, au milieu de quelque chose qui vous dévore ?

Mais est-ce qu’on épouse Clara Luciani ?

Ben écoute, pas pour l’instant ! (sourire)

On évoque beaucoup les années 60 et 70 dans votre travail artistique. Et ça passe aussi par le look. Vous aimez les fringues vintage. Comment décririez-vous votre style ?

Confortable. Je ne porterai jamais un truc dans lequel je ne peux pas courir. La plupart du temps, c’est un look androgyne. J’essaie d’être intemporelle, même si c’est référencé années 60/70. J’essaie de ne pas être dans la tendance, parce que dans la tendance il y a l’idée qu’à un moment donné ce sera démodé et que, du coup, je me trouverai nulle après (rires). Je m’habille pareil depuis que j’ai 15 ans !

Vraiment, depuis l’adolescence ?

Oui. C’est comme Batman, tu ouvres mon armoire et tu retrouves la même chose! Que des chemises col «pelle à tarte», des pantalons taille haute, des bottines… Le week-end, ado, j’allais dans des vide-greniers avec mon père alors que ce n’était pas du tout la mode du vintage.

Je n’ai jamais mis une paire de baskets de ma vie

Vous n’êtes donc pas du tout une surconsommatrice de fringues ?

Ah non. L’idée c’est d’acheter de belles pièces qui durent, si possible de seconde main, pour redonner sa chance à un vêtement qui a été pré-aimé (sourire).

Le look parfait selon vous, il ressemble à quoi ?

Un beau patalon taille haute, une belle chemise bien coupée, et peut-être un veston d’homme par-dessus et des bottines plates.

Votre styliste préféré ?

Je suis hyper fan de Gucci et d’Alessandro Michele.

Vous avez vous-même lancé une collection de vêtements l’année dernière avec Sandro (elle porte d’ailleurs l’un de ses gilets, Ndlr)…Vous êtes fière de ça ?

Oui. Ce dont je suis fière c’est d’avoir fait quelque chose du confinement! (rires) Si maintenant je devais dessiner une collection, je n’aurais pas le temps. Mais l’année dernière, ça m’a fait un bien fou de me sentir capable de faire autre chose que de la musique. Si j’avais le temps, j’aimerais bien lancer ma marque.

Quel est le look qu’on penserait ringard mais qui, à vos yeux, ne l’est pas du tout ?

Peut-être le léopard. J’ai une chemise léopard. Ca peut être très élégant mais il faut juste l’introduire avec subtilité. Ca peut être très chic, ou très moche…

Et le look totalement rédhibitoire, affreux ?

J’ai du mal – et c’est horrible parce que c’est tendance et je vais me mettre plein de gens à dos… – avec les cyclistes coupés au-dessus du genou que portent aujourd’hui les femmes. Je trouve ça catastrophique! Et chez les hommes, ce sont les t-shirts avec le col en V. On interdit ça, non? (rires)

L’icône de mode intemporelle ?

Françoise Hardy. Il y a aussi Deneuve, Jane Birkin, Marianne Faithfull…

Edition numérique des abonnés

Chez les hommes ?

Bonne question. Je trouve que Biolay a quelque chose de très iconique.

Le stylisme, ça aurait pu être une voie professionnelle pour vous si vous ne vous étiez pas découvert un talent pour la chanson ?

Je ne me suis jamais dit que j’allais me lancer là-dedans, même si je garde ça dans un coin de ma tête. Et je ne suis pas sûre d’aimer le milieu de la mode. C’est stressant je trouve, cette idée de devoir toujours créer de nouvelles pièces, de répondre à une tendance…

Pourtant, le monde de la musique est stressant aussi…

En un sens oui mais je ne fais de la musique à la mode. Je suis à contre-courant donc je m’en fous un peu de la mode. La plupart des gens qui vendent des albums aujourd’hui c’est du rap… Moi, je me sens ovni, je n’ai jamais mis une paire de baskets de ma vie...

Vraiment ?

Oui, j’en ai une que je mets de temps en temps mais je ne vais pas faire semblant, ce n’est pas mon truc. Là, comme tu me vois habillée, c’est moi dans la vie de tous les jours, à la scène comme à la ville.

Qu’est-ce qui différencie alors Clara Luciani chanteuse de Clara à la ville ?

Rien justement et c’est ça le problème.

Vous auriez aimé finalement avoir un «avatar» ?

Oui. Ma sœur a un pseudonyme et je trouve ça malin. Je n’ai pas eu cette intelligence et il n’y a donc pas de limite. Je n’ai pas créé un personnage. Quand je chante «il faut aimer s’enrober de mystères», ça je ne sais pas faire.

Notre sélection vidéo

Commentaires

Postez le premier commentaire

Aussi en Vie quotidienne

Derniers articles
SoSoir Max vous recommande