Accueil Max Vie quotidienne

Livres de la rentrée : les coups de cœur de Max

Il n’y a pas que du négatif dans le mot « rentrée ». Il y a également toute l’évasion littéraire que promettent les quelque 500 nouveautés en librairies. Max vous fait une sélection. Polar bien de chez nous, poésie macabre, histoire universelle ou cavale bien réelle, vous n'avez qu'à vous laisser porter par ces fascinantes histoires.

D’aucuns (en fait, la majorité de la presse française) l’ont déjà présenté cet été comme le roman de la rentrée. Forcément, il donnait envie : un (grand) nom de la littérature contemporaine (un peu trash), Virginie Despentes, et un titre accrocheur, « Cher connard ». Forcément, donc, on s’est jeté dessus tant l’œuvre de Despentes (« Apocalypse bébé »,...) – écrivaine à part qui a réussi la prouesse de décrocher la « carte » auprès des médias intellos et d’avoir la cote auprès du grand public – est pleine de surprises, dérangeante parfois mais toujours singulière.

Alors, ce « Cher connard » est-il à la hauteur de son titre ? Cela commence très fort quand Oscar (le cher connard) injurie sur les réseaux sociaux une actrice vieillissante, une gloire du cinéma qui a perdu de sa superbe. Contre toute attente, celle-ci, Rebecca, lui répond, par mail, sèchement mais avec un humour décapant. Elle aurait pu lui clouer le bec, le trucider sur place par ses mots sanglants mais non... Lui s’excuse, répond à son tour et finit rapidement par se confier. Une joute épistolaire débute alors entre l’actrice qui a bien profité de la vie (amants, amis, drogues,...) et un écrivain un peu alcoolo dans le viseur de #MeToo, accusé publiquement de harcèlement envers son ex-attachée de presse. De nombreuses répliques entre les deux sont savoureuses, drôles, provoquantes : « Ne te plains pas, elle n’est pas allée chez les flics. Les gamines aujourd’hui t’as l’impression qu’elles prennent le commissariat pour une résidence secondaire, elles y vont au moindre prétexte », écrit Rebecca, féministe d’aujourd’hui... mais avec des limites quand même. On est en plein dans le politiquement incorrect, et c’est ça qui fait mouche.

Oscar, lui, il aime bien mater les femmes et c’est tout... Il ne comprend pas ce qu’il a fait de mal pour être cloué ainsi au pilori. Rebecca lui conseille de prendre sur lui : « Les personnages publics, nous sommes comme des poteaux sur un trottoir. Les gens viennent accrocher quelque chose sur toi, ou te pisser dessus, ... ». Les échanges entre Oscar et Rebecca établissent aussi un constat sur notre société, sur cette autre réalité : celle de ces femmes et hommes qui n’ont pas vu le temps filer et les mœurs changer. Ces partisans du « c’était mieux avant » (ont-ils tort ?) qui ne saisissent pas (ou ne veulent pas saisir) les codes de notre époque. Seule l’intervention de Zoé – la jeune féministe « victime » de l’écrivain et bien ancrée, elle, dans son temps – alourdit le récit, le rendant par moment trop ...commun. Car ce qu’on aime lire chez Despentes, c’est ce qu’on ne lit pas ailleurs, ce que d’autres ne disent pas. Sa littérature est rock’n’roll et certainement pas bien-pensante.

Edition numérique des abonnés

En détail

« Cher connard »

Virginie Despentes (éd. Grasset)


    L'homme qui valait 283 millions

    Il est un « roi de l’arnaque » comme l’a surnommé Netflix dans un docu. Un tchatcheur bien sapé qui s’est formé dans la rue plus que sur les bancs d’école, et qui a monté, avec deux complices, la plus grande fraude fiscale à l’État français : 283 millions d’euros empochés grâce à une arnaque à la taxe carbone. Jusqu’au 7 juillet 2016, Marco (Mardoché) Mouly mènera la grande vie. Rien n’est trop cher, trop beau ou impossible pour lui. Ce jour-là, à l’heure du verdict de la justice, il ne se présente pas au tribunal. La sentence est lourde, 8 ans de prison (et le remboursement des 283 millions) mais il a un autre plan : fuir, même sans passeport et se refaire une santé financière pour pouvoir négocier sa peine. « Je vais leur prouver à tous ces cons que même le temps ça s’achète ». Tout est dit. Mouly ne recule devant rien. Sa cavale débute à Cannes, chez sa fille. « C’est un vrai truc de voyou ça, la cavale ! Et moi je suis pas un voyou ! », pense-t-il alors. Sa fuite durera pourtant cinq mois, avant d’être stoppée à Genève. Mais Marco Mouly, de Mykonos à Cuba, aurait pu se faire prendre bien avant. Il ne se cachait pas, continuait de fréquenter une certaine jet-set, ... Marco le flambeur aimait jouer avec le feu. Comme cette fois où de retour à Paris il donne rendez-vous à un journaliste pour une interview exclusive. Il s’installe alors en terrasse au vu et au su de tous. « C’est pas parce que j’ai peur que je vais pas me faire arrêter ». Sa cavale et son histoire, Marco, le beau parleur illettré, les a confiées à Julie Madar. La (triste) réalité est parfois bien plus captivante que la fiction.

    Edition numérique des abonnés

    En détail

    « La cavale »

    Julie Madar & Marco Mouly (éd. Harper Collins)


    L’Ardenne, terre de tous les mystères

    Voici une collection qu’on apprécie beaucoup chez Max : le Noir Corbeau. Polars et enquêtes criminelles y sont réunis avec, toujours, cet ancrage belge. Direction cette fois l’Ardenne et les environs d’Engreux où le cadavre d’une femme est découvert. Et avec lui, ce sont d’autres mystères qui émergent. L’ambiance du village, à commencer par cette auberge étrangement ouverte tard le soir, envahie par des nains de jardin, est inquiétante, à l’image de son patron, membre de l’école de pataphysique (on vous laisse découvrir de quoi il s’agit). Le jeune enquêteur dépêché sur place, Evariste (un prénom qui ne s’invente pas) Joris, n’en est pas moins, lui aussi, curieux. Il entendrait des voix... mais surtout, il semble cacher un secret. L’atmosphère est pesante et le lecteur, dans le brouillard, est brinquebalé entre les différents protagonistes. Un bon thriller bien de chez nous !

    Edition numérique des abonnés

    En détail

    « La prophétie des nains »

    Line Alexandre (éd. Weyrich (collection Noir Corbeau))


    Poétiquement morbide

    La nuit, il ne dort pas, sa conscience le travaille. Le jour, tel un robot, il tue. Ces corps (ou ce qu’il en reste) sanglants, ces lambeaux de chair viennent le hanter une fois la nuit tombée. C’est que le colonel est un des meilleurs dans son genre. Il est un spécialiste de l’interrogatoire, un roi de la torture qui finit toujours de la même façon : par la mort. C’est la loi de la guerre, d’une dictature et de son mouvement Reconquête qui vise à reprendre totalement les rênes du pays. Mais dans quel pays se trouve-t-on ? Ici ou ailleurs, peu importe, là n’est pas le sujet.

    Ce que « Le colonel ne dort pas » met en avant, c’est avant tout la barbarie de la guerre, l’idéologie qui en découle et qui ôte à ses soldats zélés toute conscience du bien et du mal. Même le jeune ordonnance qui assiste aux « crimes » du colonel préfère rêver à une vie meilleure dans son village plutôt que de demander sa réaffectation.

    Avec une poésie touchante, Émilienne Malfatto, lauréate l’année dernière du Prix Goncourt du Premier Roman (« Que sur toi se lamente le tigre »), fixe dans la tête des images glaçantes sur l’atrocité et la stupidité, universelles, de la guerre. Ce n’est pas un roman donneur de leçon, mais un petit et court bijou d’écriture qui en dit long sur la nature humaine.

    Edition numérique des abonnés

    En détail

    « Le colonel ne dort pas »

    Émilienne Malfatto (éditions du sous-sol)


    On écrit sur les murs

    Emma, une artiste à succès dont le travail consiste à peindre le portrait de plusieurs personnes connues, passe son temps entre Paris et Los Angeles, où elle fait la rencontre d’Achille, professeur de Stanford. Elle tombe sous son charme, mais le jeune homme disparaît du jour au lendemain, ne laissant aucune indication derrière lui. En pleine pandémie, Emma se retrouve bloquée de son côté à Paris, la faute à la fermeture des frontières. Elle ne reste pas impuissante pour autant et tente le tout pour le tout, essaye d’alerter et d’attirer l’attention des médias. Les murs en guise de support de communication, «Où es-tu, Achille?» est taggé dans divers endroits de Paris, pris en photo et balancé à plusieurs reprises sur les réseaux sociaux. Les clichés sont partagés en un rien de temps, dans toutes les langues et sur tous les médias. L’histoire se répand, touche parce qu’elle ne parle pas de maladie ni de politique, mais bien d’amour. Emma continue de chercher à savoir qui a bien pu réduire Achille au silence, alors que les tags naissent sur différents murs autour du globe, plaçant la disparition d’Achille en tant que symbole, non pas contre un État en particulier, mais bien contre l’état du Monde. Douzième roman de Pia Petersen dont la plume nous tient en haleine tout au long de ce thriller psychologique, ne nous laissant presque aucun répit.

    Edition numérique des abonnés

    En détail

    « La vengeance des perroquets »

    Pia Petersen (éd. Les Arènes)


    Patrie au cœur

    Il dit de son dernier ouvrage, « Les vertueux », qu’il est « le préféré de tous (ses) romans ». On pourrait croire à une petite punchline professionnelle mais ce serait ignorer l’œuvre et les combats de Yasmina Khadra. « Après ce livre, je peux mourir ! » a-t-il même lancé récemment. Parce qu’après quatre décennies de romans dont beaucoup ont marqué le paysage littéraire francophone — avec une belle récolte de prix à la clé pour « Les hirondelles de Kaboul », « L’attentat »,... — il est temps pour Yasmina Khadra de revenir au commencement de tout. À ses années d’officier dans l’armée algérienne, une période au service de son pays dont il est fier, et qu’il évoque ici dans une fiction pas si éloignée d’une certaine réalité. C’est à cette époque, au combat, que Mohammed Moulessehoul, déjà auteur publié, se voit contraint de prendre un pseudonyme pour continuer d’écrire. Du nom de son épouse naît alors l’auteur Yasmina Khadra.

    Une trentaine d’années plus tard, ses livres sont attendus, chaque année, avec une impatiente passion par ses fidèles lecteurs. Et ce roman-ci, « Les vertueux », est un peu la synthèse littéraire de tout ce que Khadra a écrit de très bon, en puisant ici au fond de lui. Comme lui, son héros, le jeune Yacine est enrôlé dans l’armée algérienne. Mais on est à une autre époque : ici la Première guerre mondiale vient de débuter et le combat, on le livre pour la France. Yacine, lui, est le fils modèle : intelligent, courageux, loyal et très attaché à sa famille. Des qualités que le caïd, propriétaire des terres sur lesquelles vivent les paysans comme Yacine et ses parents, recherchent chez celui qui pourra remplacer son fils au combat. Des choix, pour Yacine, il n’y en a pas vraiment. Lutter contre les « Boches », c’est s’assurer de la protection presque éternelle des siens par celui que toute cette Algérie craint.

    Certains détracteurs aiment taxer Yasmina Khadra de « donneur de leçon ». C’est ne pas accepter la sagesse qui peut se dégager d’un roman comme celui-ci. « Les vertueux » vous plonge dans une autre époque dont les combats moraux demeurent très contemporains. La plongée dans le destin de Yacine est envoûtante grâce à la finesse et à l’émotion de l’écriture. Un rendez-vous littéraire incontournable avec un écrivain qui aime sa patrie et qui le dit en français... et qui s’efforce, du bout de sa plume, de réconcilier les deux.

    Edition numérique des abonnés

    En détail

    « Les vertueux »

    Yasmina Khadra (éd. Mialet Barrault)


    Thriller wallon

    C’est d’abord la démarche de cet auteur, wallon, qui nous a plue. Willy Grimmonprez, auteur louviérois, n’en est pas à son coup d’essai. La plume, cet ancien chauffeur de bus la prenait en 1994 pour son premier thriller « Meurtre contre la montre ». Depuis, il a publié une dizaine d’ouvrages mais ne s’en cache pas, comme il nous l’écrit dans une lettre accompagnant son nouveau récit « L’homme de l’ombre » : « il est difficile pour un auteur régional d’intéresser les médias nationaux ». Nous ne lui donnerons certainement pas tort à l’heure de la rentrée littéraire inondée de près de 500 nouveautés, majoritairement venues de l’Hexagone, et alors que, chez nous, c’est le nom d’Amélie Nothomb qui est traditionnellement cité pour évoquer, à cette période, la littérature belge. Nous nous sommes donc penchés avec curiosité sur le nouveau thriller de Willy Grimmonprez. Et quelle belle surprise de découvrir cette écriture pleine d’humanité, ancrée dans la ville réelle et les tracas — pour ne pas pas dire les coups de massue de la vie — d’une famille de la classe moyenne. Séparation douloureuse, enfant soudainement gravement malade et puis, c’est l’arrivée d’un homme providentiel qui envoie une lueur d’espoir à ces parents désarmés et qui éclaire ce livre. Pas triste ni sanglant mais terriblement humain, ce thriller soci se lit sans décrocher.

    Edition numérique des abonnés

    En détail

    « L’homme de l’ombre »

    Willy Grimmonprez (auto-édition)


    À bas les certitudes !

    C’est la claque de la rentrée ! Le livre qu’on entame sans vraiment savoir si on s’engage dans un plaidoyer, un roman triste ou une réalité légèrement modifiée en fiction. En fait, « La petite menteuse » est un mélange de tout ça mais, surtout, un livre qu’on ne lâche pas tant qu’on n’a pas lu sa dernière phrase (et celle-ci est puissante). La petite menteuse a un nom : Lisa Charvet. À 15 ans, elle confie – détails à la clé – avoir été violée. Le suspect est un ouvrier effectuant quelques travaux chez ses parents. La police et la justice n’en feront qu’une bouchée, lui le mec un peu glauque, le coupable idéal : il est condamné à 10 ans de prison. À quelques mois d’un nouveau procès en appel, Lisa décide de changer d’avocat : elle veut être représentée par une femme. Mais c’est bien plus que ça... Ce qu’elle a à dire, tout le monde ne peut pas l’entendre. Car elle a menti. Jamais l’ouvrier, aussi bizarre soit-il, ne l’a violée. Par contre, quelque chose, ou plusieurs choses, ont provoqué cette déformation de la réalité. Des adultes trop bien pensants, qui condamnent trop vite, une police et une justice qui se contentent du minimum à l’heure de la libération de la parole des femmes et une ado prise au piège et broyée par un autre malheur : un mensonge cache parfois une bien triste vérité.

    Cette « petite menteuse », on aurait a priori envie de la voir, elle, finir en prison. Mais en suivant le raisonnement de son avocate, on change d’avis... ou on y réfléchit en tout cas à deux fois. La question, si peu traitée dans les médias et dans la fiction, dérange et est brillamment posée par cette écrivaine, également grande chroniqueuse judiciaire pour « Le Monde ». Un roman captivant.

    Edition numérique des abonnés

    En détail

    « La petite menteuse »

    Pascale Robert-Diard (éd. L’Iconoclaste)


    Rattrapée par ses origines

    Tout premier roman de Maria Larrea, à la plume franche, imagée, où elle n’hésite pas à aborder entre autre le sujet de la quête de soi, à exposer l’histoire de sa famille. Tout au long du récit, Maria nous fait traverser chaque émotion, plus fortes les unes que les autres. Dès le début du roman, elle raconte trois enfances : celles de ses parents, ayant tous deux connu la misère, en parallèle de la sienne.

    Victoria, sa mère, a été confiée quelques heures après sa naissance à des bonnes soeurs. Abandonnée par sa propre mère, cette dernière viendra la rechercher une dizaine d’années plus tard, mais ne l’aimera pas pour autant. Julian, père de la narratrice, est le fils d’une prostituée de Bilabao. Abandonné lui aussi, il grandira à l’orphelinat de la ville. Ils se rencontrent en Espagne, décident de fuir le pays pour aller habiter à Paris avec leur enfant : la narratrice, Maria.

    La jeune fille devient jeune femme, réalise ses rêves et alors que tout semble acquis, pense s’être arrachée à ses origines, une révélation tombe l’année de ses vingt-sept ans : Maria rencontre une liseuse de cartes lui annonçant qu’elle ne serait probablement pas la fille de ses parents. La tête emplie de questionnements, la narratrice décide de revenir là où tout a commencé pour déterrer la vérité : à Bilbao.

    Edition numérique des abonnés

    En détail

    « Les gens de Bilbao naissent où ils veulent »

    Maria Larrea (éd. Grasset)


    Notre bonus : les coups de cœur de Claire Chazal

    « Il y a beaucoup de livres de femmes en cette rentrée. Cependant, je ne regarde pas si j’emporte avec moi un livre d’homme ou de femme, c’est le hasard Mais je trouve qu’il y a vraiment des auteurs femmes – et ce n’est pas la première année que je le dis – intéressantes. Elles sont beaucoup mais pas beaucoup récompensées. Elles ont le Renaudot mais pas le Goncourt… Il y a un blocage de ce côté-là ».

    • Monica Sabolo : « La vie clandestine » (éd. Gallimard) « Sans hésiter ».
    • Pauline Delabroy-Allard : « Qui sait » (éd. Gallimard) « C’est son deuxième roman (après « Ça raconte Sarah ») et c’est très, très bien ».
    • Félicité Herzog : « Une brève libération » (éd. Stock) « Un livre sur sa famille, sur sa mère. C’est très intéressant ».
    • Sonia Devillers : « Les exportés » (éd. Flammarion) « Un livre très intéressant sur les origines roumaines de cette journaliste à France inter ».
    • Léonora Miano : « Stardust » (éd. Grasset) « Un livre sur la détresse, sur un passé de mère célibataire ».

    Commentaires

    Postez le premier commentaire

    Aussi en Vie quotidienne

    Derniers articles SoSoir Max vous recommande