Il y a cinq ans, il publiait son premier roman, «La chambre des merveilles», aujourd’hui adapté au cinéma. Le succès, alors fulgurant, a convaincu l’ingénieur Julien Sandrel de devenir écrivain à plein temps, de laisser parler ses émotions. Chez lui, comme dans ce 6e livre, «Les extraordinaires», le rêve n’est jamais loin. Il prend ici la forme d’un hommage aux femmes scientifiques, et aux filles tout court, qui n’ont «pas les mêmes chances que les garçons».
Julien, vous avez entamé une carrière d’ingénieur agronome et, soudainement, avez bifurqué pour réaliser votre rêve d’enfant: devenir écrivain…
Oui, en 2015, j’ai fait une sorte de crise de la quarantaine avant l’heure, j’avais 35 ans. Je me suis vu professionnellement dans les 30 années qui suivaient, et je n’avais pas du tout envie de ce qui s’annonçait. Je voyais exactement ce que serait mon évolution professionnelle et je n’en avais pas envie. C’est là que je me suis reconnecté à mes rêves d’enfant. C’est comme ça que j’ai commencé à écrire. Mais à la base je ne m’étais pas dit que j’allais totalement changer de vie, que j’allais pouvoir vivre de l’écriture. Je faisais ça en plus de mon métier. Quand j’ai écrit «La chambre des merveille», j’étais encore en poste à temps plein en entreprise.
Il vous a fallu du courage pour faire totalement de l’écriture votre métier…
En réalité, j’ai mis une année complète à prendre ma décision. Quand «La chambre des merveilles» est sorti, je savais déjà –parce que les droits avaient été vendus à l’étranger et pour le cinéma– que j’allais pouvoir vivre deux ans juste grâce à ce livre. J’avais très envie du basculement mais ça me faisait peur évidemment, parce que j’ai une femme, deux enfants, un appartement à payer et on n’a pas la sécurité d’un poste de salarié. Mais au bout d’un an de réflexion, je me suis dit que l’écriture, c’était réellement ce dont j’avais envie. Et j’ai attendu la sortie du 2e roman pour être rassuré et me lâcher complètement.
À travers «Les Extraordinaires», vous faites passer ce message que rien n’est impossible. Pourquoi la notion de rêve, ici comme dans votre 1er roman «La chambre des merveilles», est-elle si importante pour vous?
Avec le recul, je me dis que je me suis peut-être un peu autocensuré quand j’étais enfant. Je suis d’une famille très modeste, d’immigrés italiens. J’ai toujours été mû par la volonté de faire honneur à ma famille, de faire mieux que la génération précédente. Et ce faisant, le chemin tout tracé c’était l’excellence scolaire. J’ai donc toujours suivi ça et, du coup, j’ai peut-être un peu perdu de vue ce que moi je voulais. Et ça m’a pris du temps, j’ai attendu 35 – 36 ans pour me reconnecter à ces envies-là et les assumer.
Dans ce nouveau roman, plusieurs destins de personnes désireuses de se rendre dans l’espace se croisent, et s’entraident. Parmi elles, Anna, qui en rêvait petite et à qui, très vite, on a fait comprendre qu’astronaute n’était pas un métier de «fille». Tout au long du livre, on sent une dimension féministe…
Oui, complètement. Je suis vraiment féministe. J’ai une fille et ça me révulse quand je vois qu’encore aujourd’hui une fille n’a pas les mêmes chances, les mêmes droits, les mêmes possibilités –même en France ou en Belgique– qu’un garçon. Je vois la différence avec mon fils de 15 ans. Il va au foot, il rentre dans Paris le soir à 23 heures tout seul et je sais bien que pour ma fille, quand elle aura le même âge, ce sera compliqué. Ça veut dire qu’elle n’a pas la même liberté, en fait. Par ailleurs, quand je touche comme ici à un sujet scientifique, j’ai aussi tout l’aspect de la place des femmes dans les sciences qui touche personnellement ma femme –qui est elle-même une scientifique, que j’admire et qui montre le chemin à d’autres femmes. J’avais donc envie de rendre hommage aux femmes scientifiques, d’autant plus quand j’ai commencé à creuser le sujet des astronautes et que je suis tombé sur la manière dont elles ont été invisibilisées. J’ai découvert que dans le programme spatial Mercury 13, le gouvernement américain de l’époque avait décidé de bloquer les femmes, pour n’avoir que des héros «hommes» dans l’espace, et ça m’a conforté dans l’idée d’avoir cette thématique qui traverse l’ensemble du roman.
La maladie, et la mort, sont aussi présentes dans votre roman. C’était déjà le cas dans «La chambre des merveilles». Pourquoi?
J’écris sur la vie et dans la vie il y a la mort et la maladie. Je ne connais pas de famille au sein de laquelle il n’y a pas une personne malade ou qui l’a été. Après, je suis hypocondriaque aussi…(sourire). Donc, peut-être que je mets de ça dans mes romans. De la même manière que «La chambre des merveilles» était une forme d’exorcisme de mes peurs de père de perdre un enfant… Comme je suis hypocondriaque, effectivement, ça me fait très peur la maladie. J’ai aussi une part d’hypersensibilité qui fait que quand une personne de ma famille est malade, je le ressens. C’est une empathie peut-être un peu trop poussée.
En détail
Julien Sandrel
«Les extraordinaires»
(éd. Calmann-Levy)