Rencontre avec Axelle Red : « Je me suis mis des bâtons dans les roues pour éviter d’être surexposée »

Charlie De Keersmaecker 

Impossible d’évoquer Axelle Red et sa longue carrière –plus de 30 ans qui viennent de donner naissance à une compil’ indispensable «AR 30»– sans évoquer son engagement. Elle confirme: la femme, l’activiste et l’artiste ne forment qu’une seule et même personne… pleine de sensibilité et d’intelligence, qui a appris à philosopher pour rester positive. «Philosopher, ça a soigné le fait que je ne comprenais plus le monde et que j’étais triste. Et ça me soigne tous les jours», nous dit-elle au détour d’un sourire, au cours d’un long échange rempli d’humanité et très loin des clichés (qu’elle déteste).

Axelle, quand le succès arrive, d’abord avec «Kennedy Boulevard» puis «Sensualité» qui déferle sur la France il y a 30 ans exactement, comment l’avez-vous vécu?

J’ai l’impression que je me suis toujours mis, moi-même, des bâtons dans les roues quand ça devenait trop grand (rires). Par exemple, pour le premier album en France, on me disait que je devais encore sortir un single, «Pars». Mais j’ai dit «non», parce que je me sentais surexposée. Je voulais prendre une pause et travailler le nouvel album. Je me dis que si ça avait été aujourd’hui ce serait différent. Aujourd’hui, les jeunes continuent tant qu’il y a le succès, parce qu’ils se disent que ça ne durera pas. Tandis que, à l’époque, on pensait «je veux du long terme». Je ne voulais pas être surexposée, je voulais prendre du recul. Aujourd’hui, je me dis peut-être «zut» parce qu’un tube de plus, c’est un tube de plus! (rires) Mais ce n’est pas grave, je ne regrette pas. Par la suite, des gens m’ont dit «mais pourquoi tu vas enregistrer un album à Memphis? Fais le deuxième dans la même couleur que le premier !». Mais je ne voulais pas, je voulais aller chercher un certain son soul là-bas. Et heureusement, j’ai eu de la chance, ce deuxième album est devenu encore un plus grand succès que le premier. Mais c’était un risque quand même. Pareil quand j’ai fait toutes mes chansons engagées, c’était à une époque où on me disait qu’il ne fallait pas faire ça. C’est comme si je ne voulais plus être la star.

Tout au long de votre carrière, on vous a vue vous engager auprès des plus démunis. Vous êtes toujours allée sur le terrain aux quatre coins du monde. Il ne s’agit pas pour vous de juste prêter votre nom à une cause. Pourquoi cela est-il si important?

C’était presque au-delà d’aller sur le terrain… J’allais vraiment aussi chercher des réponses. Par exemple, pour tout ce qui concerne la violence faite aux femmes, ce n’était jamais dans le programme. C’était moi qui demandais. On nous montrait ce qu’on voulait bien nous montrer sur le terrain, mais moi, dès le début, je me posais des questions et je voulais rencontrer d’autres personnes. Après, je ne sais pas si j’ai pu changer grand-chose mais bon… Je dis toujours que mon humanisme ou mon activisme est allé très vite au-delà de l’association avec laquelle je travaillais que ce soit Amnesty, Oxfam, Handicap International,…

Cet activisme, c’est un besoin? Parce qu’il faut avoir la force de voir tout ce que vous avez vu…

Oui. Je suis allée au-delà de mes forces. Ça laisse des traces. C’était une révolte que j’avais en moi en fait. Je ne suis pas née fâchée, mais je suis née rebelle. Depuis que je suis petite, je ne supporte pas l’injustice. Au départ, il y avait ce côté où je voulais rendre parce que j’avais pu réaliser mon rêve. Je me disais que ce n’était pas possible que moi j’ai pu réaliser mon rêve et qu’il y a des gens qui ont une vie misérable. Ce n’est pas juste: à un moment donné, il faut rendre dans la vie. C’est ma théorie: si on donnait à tout le monde dans la société la possibilité de suivre sa vocation, que ce soit pompier ou infirmière, qu’il y ait le respect de ces choix, on se rendrait tous compte qu’il y a une part pour toi, et une part à rendre. Mais on est dans une société individualiste où tout le monde veut la gloire, les «likes» et veut donc faire des métiers qui suscitent l’admiration mais ça n’aide pas les autres. Très vite, j’ai été complètement perturbée avec cette lumière sur moi. C’est vrai que je voulais ça à travers mes chansons mais j’ai été très vite mal avec ça. Et je voulais trouver un équilibre. Je me souviens qu’à 20 ans, quand j’étais encore étudiante, on est parti en sac à dos avec Philip (son époux, NdlR) au Vietnam qui était encore fermé au tourisme. On a vu le pays tel qu’on ne le verra jamais par la suite, le gouvernement n’avait pas encore caché ses victimes de guerre et on voyait tous ces gens handicapés, sans jambe,… et on se sentait mal. On s’était dit après les études qu’on devrait travailler dans l’humanitaire, mais ma musique a réussi et voilà…Mais c’était une autre façon avec ma notoriété de faire les choses.

 

Charlie De Keersmaecker

Charlie De Keersmaecker

Charlie De Keersmaecker

Charlie De Keersmaecker

Vous nous dites que vous ne savez pas si votre engagement a pu changer grand-chose… Êtes-vous épuisée en constatant que la situation s’est parfois empirée en 20 ou 30 ans?

Je veux rester positive. Mais sincèrement, je passe par tous les stades. Ce n’est pas pour rien que tous les matins je me lève tôt. J’ai besoin de temps pour lire et pour réfléchir aussi, pour placer tout ce que j’ai vu, entendu, pensé. Je veux toujours y croire. Croire que l’être humain est bon, que le monde s’améliore et j’ai envie de le communiquer aussi.

Comment supportiez-vous le fait de voir la misère en Afrique par exemple et, deux semaines plus tard, de vous retrouver dans un autre monde aux Victoires de la musique?

C’est super perturbant. Tout se mélangeait tout le temps pour moi parce que j’avais aussi des chansons engagées. Je me rends compte qu’il faut arrêter de dire il y a Axelle, la personne privée, et Axelle l’artiste. Non, c’est une même personne. On est tous une personne avec tous ces rôles à jouer de citoyen, de femme, de sœur, de mère, de star, de compositrice,… Et je me dis qu’il faut que je gère. Je suis passée par des moments où j’étais déprimée. Je ne comprenais pas parce que j’avais tout. C’était une tristesse que j’avais en moi, je me sentais impuissante de savoir qu’il y avait tous ces gens qui souffraient. À l’époque, physiquement je le sentais qu’il y avait toutes ces femmes abusées dans le Kivu par exemple. C’était devenu intenable et c’est là que j’ai écrit l’album «Sisters&Empathy» sur ce thème.

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