Rencontre avec Christophe Maé : « D’où je viens, je n’ai pas le droit de me la raconter ! »

Fabien Vieilletoile

Regard clair hypnotisant, sourire au coin des lèvres et accent chantant: Christophe Maé, en quelques mots, vous fait déjà voyager. Et ça tombe bien, c’est tout ce qu’il veut véhiculer à travers sa musique: aller à la rencontre de l’autre, abolir les frontières. Le voyage est sa «maison», dit-il. Tout comme sa famille est son ancrage, sa femme, sa grande force: «sans elle, je ne serais pas là aujourd’hui». Le chemin accompli, il le résume dans le titre de son dernier album, «C’est drôle la vie»: «il y a une touche d’humour et de mélancolie à la fois». 

Christophe, peut-on dire que vous êtes un mélancolique positif?

Oui. J’ai cette chance-là d’avoir vécu quand même pas mal de choses mais je veux la bouffer encore la vie, je veux en profiter pleinement. J’ai 47 ans, j’ai le cul un peu entre deux chaises. Quand je dis «trop vieux pour être jeune et trop jeune pour être vieux», c’est une manière aussi de me réconforter. J’ai fait écouter cette chanson à mon père et lui, à 75 ans, m’a dit qu’il avait aussi ce sentiment! (sourire) Je pense que toute notre vie on se sent trop jeune, on ne se voit pas vieillir. C’est un truc de fou! Je suis un éternel gamin et je traverse une période très apaisée. Je me sens épanoui et très reconnaissant. Quand je dis ça, je pense à mes parents, au fait de les avoir dans une main et mes gamins dans l’autre. Moi, je suis entre eux et je parle de transmission, du temps qui passe. Quand on a la chance d’avoir ses parents, de s’entendre tous, c’est le moteur d’une vie.

Ces valeurs-là, ce sont celles que vous avez retrouvées au Cap vert, dont est imprégné tout l’album?

Oui, c’est ce qui domine là-bas. C’est ce qui m’a frappé: cette faculté d’aller à l’essentiel, au partage. C’est la voix de la Cap-verdienne Ceuzany qui m’a donné le déclic pour prendre un billet d’avion et aller voir là-bas comment ça se passait et écouter leur musique. Dans la chanson que j’ai faite avec Ceuzany, «Pays des merveilles», elle raconte en créole qu’elle a grandi dans un environnement où elle a manqué d’énormément de choses mais qu’il y avait de l’amour à gogo. Ça résume la vie. Tu peux avoir ce que tu veux, une belle bagnole par exemple… C’est cool, mais ça va te faire sourire deux jours. On ne se nourrit pas du matériel. En tout cas, moi personnellement, ça ne m’a jamais fait rêver.

D’où vous vient ce besoin de toujours vous nourrir d’autres cultures, de musiques d’ailleurs?

Mon père a toujours été un mélomane. J’ai grandi avec des centaines de disques à la maison, j’écoutais aussi bien les classiques de la chanson française que des jazzmen, de la musique africaine. J’ai pioché comme ça à droite et à gauche. Il y a quelque chose de très viscéral, de très instinctif dans la musique africaine qui a toujours pris le dessus. Je me sens très proche de cette musique-là. Quand j’analyse un peu le truc, je me rends compte que c’est parce qu’elle a toujours été là, même dans mon premier album, il y avait ce côté afro-caraïbes. Il y a quelque chose dans cette musique qui fait que tu es en l’air, impossible de ne pas bouger. Et moi, depuis gamin, je jump, je ne tiens pas en place! (rires) Aussi, c’est ma conception de la musique: être entouré de musiciens qui viennent d’ailleurs, du continent africain, de Cuba,… Ma prochaine tournée s’appelle d’ailleurs «Carnet de voyage» parce que j’ai pris une telle claque au Cap vert! J’emmène Ceuzany avec moi, et ensuite aussi un groupe de huit «mama» que j’ai découvertes là-bas un soir dans un bidonville, elles jouent des percus et chantent. C’est très hypnotique. Ce que j’ai vu là-bas, je veux que les gens le voient!

 

Fabien Vieilletoile

Fabien Vieilletoile

Fabien Vieilletoile

Yann Orhan

Avez-vous parfois un peu l’impression d’être un ovni dans l’univers musical francophone?

Franchement, je me fie à mon instinct… et c’est vrai que ce n’est pas toujours évident. C’est un luxe et, par moments, je me retrouve à avoir des conversations avec la maison de disques. Mais le luxe que j’ai aujourd’hui, c’est ma liberté artistique. À un moment donné, j’entends un refrain en créole cap-verdien et, forcément derrière on va me dire: «on ne peut pas avoir le refrain en français pour que ça passe en radio?». Mais non, moi je le veux en créole. La diversité, c’est une force. On a besoin de ça !

Davantage aujourd’hui qu’à vos débuts?

Oui. C’est important. Mon métier prend aujourd’hui plus de sens qu’à mes débuts. Ce qui me plaît, c’est de créer du lien entre des gens venus d’horizons complètement différents, que ce soit dans le public ou sur scène, et qui seront traversés par les mêmes émotions. Il y a suffisamment de gens qui divisent… La musique, elle, est là pour créer du lien.

Vous avez connu le succès pas trop jeune, vers 30 ans. Ça a demandé beaucoup d’acharnement de votre part?

Ça n’est que ça, du travail mais je ne suis pas là pour dire que j’ai bossé (sourire). Je n’ai pas l’impression de travailler parce que j’aime profondément ce que je fais. C’est une chance folle. Et c’est ce que j’essaie de transmettre à mes enfants. Eux, ils n’en ont rien à foutre de la musique, ils s’identifient à des footeux, ils rêvent de devenir des joueurs de foot. Mais je trouve ça magnifique. J’essaie juste de leur filer des clés. Je leur ai fait faire du piano, du violon, de la batterie, du judo, du tennis,… Mais non, ils ont choisi le foot. Et ce n’est pas grave. C’est la base pour ne pas avoir l’impression de travailler: essayer de trouver quelque chose qui nous passionne. Et ça, je m’entête à leur dire.

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