La chronique d’Audrey Van Ouytsel, docteur en Sociologie : « Une question d’énergie »

« Il me pompe toute mon énergie». «Tu dégages une belle énergie». Le concept d’énergie est régulièrement mobilisé dans la description de scènes banales de la vie quotidienne pour parler d’entrain, de motivation et d’état d’esprit. Ce qui m’interpelle le plus, c’est de constater à quel point les individus en manquent actuellement.

Cette réflexion m’est venue suite à diverses observations tant dans le cadre professionnel que privé. Notre énergie vitale fluctue en permanence: d’enthousiaste hyperactif nous pouvons à certains moments basculer en mode lymphatique, las et démotivé. Il est alors essentiel d’identifier les éléments qui font fluctuer cette précieuse et vitale énergie, et mettre des choses en place pour la préserver.

Sonia a 65 ans. Elle m’avoue être fréquemment délestée de son énergie vitale lorsqu’elle s’entretient au téléphone avec sa cousine Martha, plaintive et désespérée depuis plus de 60 ans. Martha peut parvenir à épuiser Sonia en 30 minutes de conversation téléphonique. C’est épouvantable. «Dès qu’elle me contacte, je commence à bâiller et au terme de la conversation, je me vautre dans le fauteuil et n’en bouge plus pendant deux heures».

Isabelle a 35 ans, elle est fort demandeuse d’approbation sociale de la part de son entourage et rentre régulièrement de ses repas de famille lessivée. «Je sais que je ne suis jamais assez bien. Je sais que mon frère cadet fait toujours mieux que moi et personne ne porte d’attention à ce que je peux dire ou faire». Le repas de famille consiste à des commentaires positifs sur la réussite de son frère. Rentrer épuisée de ces repas de famille conforte Isabelle dans l’idée que sa vie est un échec et qu’elle ne mérite aucune attention. Dans ces deux cas de figure, Sonia comme Isabelle prennent part à des interactions toxiques avec leur entourage. La fatigue ressentie suite à un échange doit nous indiquer que la relation, à ce moment précis, n’est pas saine. Que certains de nos besoins fondamentaux sont littéralement niés lors de ces interactions. Inutile de se culpabiliser: nos réactions physiologiques ne mentent pas. Elles nous envoient des signaux à considérer. Souvent, il sera question de prendre de la distance et de reconfigurer la relation autrement.

Mais comment ne pas se sentir coupable de priver Valérie de son coup de fil journalier alors qu’elle traverse une période difficile? Il n’est pas question de lâcher Valérie, mais de trouver le moyen de l’accompagner sans s’exténuer: si vous vous effondrez, vous ne lui serez plus d’aucune aide. Il y a les relations toxiques et les personnes toxiques. Lorsque nous allons mal, il est fréquent d’induire des dynamiques toxiques dans nos échanges: on n’est pas bien et on veut le fait sentir aux autres. Cela ne fait pas de nous pour autant des personnes toxiques.

Avec la pression du monde actuel, il y a de plus de plus de raisons d’aller mal. Reconnaissons nos limites et celles des autres avec honnêteté. Posons-les également. Nous n’avons pas l’énergie de nous rendre au repas de Tatie Danielle? Éprouvons suffisamment de bienveillance envers nous-mêmes pour renoncer à ce repas sans craindre le jugement d’autrui. En formulant bien les choses et en parlant à coeur ouvert de nos ressentis et de nos besoins, il y a de bonnes chances de susciter de la compréhension chez l’autre. Si ce n’est pas le cas, ce n’est pas un drame.Il nous faudra avoir le courage de sortir du rôle de la gentille fille ou du gentil garçon et accepter de déplaire! C’est l’une des plus victorieuses libérations à laquelle je vous convie!