La chronique et le podcast d’Audrey Van Ouytsel, sociologue de "Mariés au premier regard" : l'amour à la machine

Cette chanson d’Alain Souchon interpelle. Elle concerne les couples qui, après un certain nombre d’années de vie commune, s’estiment prisonniers d’une forme de routine qui finira par questionner les liens qui unissent les deux partenaires. Aline et André sont en couple depuis 15 ans. Ils me consultent pour parvenir à comprendre «ce qui leur arrive» et si c’est «la fin de leur histoire»

L’histoire d’amour d’Aline et d’André est digne d’un conte de fée ou d’une série Netflix. Ils se rencontrent par le plus grand des hasards au rayon surgelés d’un supermarché. André proposera à Aline de lui offrir un verre dans un bar à vins. Et deux semaines plus tard ils ne se quitteront plus. André s’installera chez Aline. Une belle passion naît entre eux. Ils sont fusionnels, ne peuvent se passer l’un de l’autre. Ils se marient un an plus tard. Leur désir de fonder une famille est très intense, autant que leur passion. Ils deviendront parents de deux enfants dans les années qui suivent. Aujourd’hui, quinze ans plus tard, je les vois assis sur mon canapé vert, si distants. J’ai l’impression qu’ils me parlent d’une autre histoire mais pas de la leur. «On a perdu la passion. On a le sentiment que notre histoire est dernière nous». Aline et André ont, comme beaucoup de couples, une vie surchargée. La gestion domestique, les enfants et leurs carrières respectives les ont petit à petit éloignés l’un de l’autre.

«Qu’est-ce qui vous laisse penser que votre histoire est derrière vous?». «On n’éprouve plus de passion l’un pour l’autre». «Et? Vous pensez que la passion est la condition essentielle pour créer une entité appelée un couple?». La passion n’est qu’une phase autant agréable que douloureuse tant le besoin irrépressible de fusionner en permanence avec l’autre nous mobilise toute l’énergie vitale. La passion dure généralement entre six mois et deux ans en fonction du mode de vie des partenaires mais aussi en fonction de ce que l’un va projeter sur l’autre. Elle n’est en aucun cas un gage de pérénnité pour le couple. Elle s’avère parfois même dangereuse. Pour les couples passionnés, elle devient l’unité de mesure de l’amour que l’un porte à l’autre et son étiolement va être interprété comme la mort des sentiments. Ce n’est que lorsque le besoin de construction et l’amour institutionnel émergent après le tumulte de la passion que la réalité du couple commence. Mais certaines belles histoires d’amour ne resteront que des passions et de délicieux souvenirs car elles ne pourront jamais s’ancrer dans un projet de construction.

Nous sommes toujours influencés par l’idéal du romantisme pur qui nous impose une vision tronquée de le relation amoureuse, réduite à la passion. Ce que je constate en tant que thérapeute, c’est que ce qui fait le plus souffrir les couples, c’est davantage le sentiment de ne plus se sentir dans la norme de la passion que le vécu quotidien du couple en lui-même. Je propose à Aline et André de se rapprocher l’un de l’autre, de se prendre la main. Je perçois une certaine gêne. Je leur demande alors de tenter de l’expliquer. Ils me répondent que c’est très agréable de toucher la peau et la main de l’autre, et que leur gêne est liée au fait qu’ils ont perdu cette habitude et qu’ils ont même oublié la douceur de cette sensation. La charge mentale du quotidien contraint à ne plus faire du couple une priorité. Et pourtant, le couple est comme une petite petite plante: si vous ne l’arrosez pas, ne la placez pas à la lumière du jour, ou encore si vous ne lui versez pas sa petite dose d’engrais, elle se laissera dépérir. Je pense que cette première séance a été positive pour Aline et André. Ils repartiront main dans la main et réapprendront la proximité physique avec l’autre. Un couple n’est pas un état figé une fois pour toutes: un couple, c’est une dynamique en perpétuelle évolution. Une dynamique qui fait appel à notre créativité afin de pouvoir se réinventer.

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