La chronique d’Audrey Van Ouytsel, docteur en Sociologie : « Authentiquement humains »

En septembre dernier, j’étais invitée sur le plateau d’un talk-show français pour partager mon point de vue de sociologue sur la médiatisation des maladies des célébrités par elles-mêmes.

Une tendance assez répandue qui contraste avec la discrétion d’antan que l’on pouvait retrouver auprès des monstres sacrés du cinéma des années 1960. Je pense à Bourvil qui incarnait, dans «L’arbre de Noël», un homme atteint d’un cancer alors qu’il souffrait du même mal et que son public l’ignorait. Daniel Levi, disparu il y a quelques mois après un courageux combat contre le cancer, et Florent Pagny, aujourd’hui en rémission, ont tous deux fait le choix d’annoncer à leurs fans leur maladie en partageant sur les réseaux sociaux l’épopée de leurs combats quotidiens.

Cette mise en vulnérabilité, avec les répercussions que cela aurait pu avoir sur une altération possible de leur image, a ému leurs fans aux larmes et décuplé leur admiration. À l’époque, le devoir de discrétion et la culture du secret étaient exigés. Vie privée et vie publique étaient strictement séparées et la moindre divulgation d’un problème de santé aurait été perçue comme une atteinte à l’image idéalisée et iconique.

Les temps ont changé. Aujourd’hui, ce que l’on recherche chez un people (j’utilise ce terme à dessein), à côté de ses «talents», c’est de l’humanité. C’est de l’intimité. C’est de la confidence. C’est de la proximité. C’est de la transparence. En somme, ce qui suscite l’engouement et la reconnaissance du public ce ne sont pas (uniquement) le talent, c’est ce qui en fait un être humain à part entière, avec ses zones d’ombres et de lumière. Cette suppression des frontières entre privé et public correspond à une nouvelle valeur: l’authenticité.

Pour conquérir l’admiration et la reconnaissance, il faut parler de vous, sincèrement. Éviter de travestir votre identité. Parler de vos kilos. De vos échecs. De vos addictions. Vous allez devoir prouver à votre audience que vous êtes le même, avec ou sans caméra. Ce qui émeut aujourd’hui, c’est le fait de pouvoir se dire que Céline Dion, qui a récemment annoncé qu’elle souffrait d’une maladie l’empêchant d’organiser ses tournées, est une femme comme les autres. Indépendamment de ses talents indéniables de chanteuse, elle nous partage ses combats. Elle est juste humaine. Vulnérable. Et elle le manifeste.

La norme de l’authenticité apparaît début des années 2000. Elle s’inscrit en continuité avec l’individualisme de notre époque. Début 2000 sont lancées les premières émissions de télé-réalité: l’intimité des participants est «partagée» avec l’audience qui se reconnaît en eux. Le «business» de l’authenticité est lancé! Si aujourd’hui l’authenticité est autant plébiscitée c’est aussi parce qu’elle figure parmi nos besoins essentiels.

Désormais, nous sommes responsables de notre bonheur et nous sommes seuls face à nous-mêmes. Il nous alors faut adopter une forme d’instrospection et d’auto-évaluation honnêtes censée nous guider et nous permettre d’évoluer. Dans nos relations sociales également, plus nous sommes vrais, plus nous allons être capables de relations durables et constructives, et plus notre compagnie sera prisée.

Comment devenir plus authentique? En bannissant la peur de la honte et du jugement et en développant l’amour de soi et l’acceptation. En fréquentant des personnalités inspirantes de part leur authenticité, lesquelles nous montreront la voie vers une version plus libre de nous-mêmes.