La chronique d’Audrey Van Ouytsel, docteur en Sociologie : "Que du love"

À quelques jours de la Saint-Valentin, Charlotte, célibataire de 30 ans, se pose beaucoup de questions.

Célibataire depuis un an, c’est l’heure du bilan. Et celui-ci s’annonce triste. Pourquoi enchaîne-t-elle systématiquement les « coups foireux » ? Pourquoi, dès qu’elle a l’impression qu’un homme lui plaît vraiment, est-elle persuadée qu’il ne tardera pas à lui échapper une fois qu’elle lui manifestera ses sentiments ? « Je vais encore me retrouver seule pour la SaintValentin » se plaint-elle sur le confortable divan vert de sa thérapeute. Mais pourquoi se rendre malade pour ce jour-là ? Pourquoi regretter précisémment de ne pas avoir une âme soeur à ses côtés le 14 février ? Parlons d’abord du célibat. D’une part, il y a le célibat choisi, et ensuite le célibat subi. Quand on subit son célibat, on souffre constamment d’un manque de présence et d’amour et toute activité quotidienne centrée sur le couple rappelle à quel point la solitude est lourde à supporter. Surtout quand on ne l’a pas voulue car il nous est inconcevable d’envisager un avenir sans un être cher avec lequel tout partager. Le célibat librement consentit ne suscite quant à lui pas ce genre de réaction. À l’approche de la fête des amoureux, Lucie, seule depuis deux ans et séparée d’un ex-compagnon toxique, savoure les joies de sa liberté retrouvée et ne souhaite aucunement se remettre en couple pour le moment : « J’apprécie trop cette liberté d’être, cette légèreté du quotidien et cette absence de contrainte que pour laisser un homme rentrer dans ma vie ». Lucie m’annonce avec une pointe d’espièglerie qu’elle passera la Saint-Valentin avec son chat et que la soirée sera très agréable.

La fête de la Saint-Valentin est instituée depuis de nombreuses années chez nous. Elle trouverait son origine aux alentours du 14e siècle en Angleterre. 

Cette célébration en exaspère plus d’un et en réjouit d’autres. Fête considérée comme commerciale, elle constitue pour certains le non-événement de l’année par excellence. Pour d’autres, c’est le moment incontournable où il faut manifester à son partenaire son amour. Entre fête commerciale et obligation sociale, la célébration de la Saint-Valentin visibilise les couples au sein de l’espace public : on se promène avec des bouquets de fl eurs et toutes sortes de marchandises émotionnelles, et on s’offre un dîner au restaurant. Cela contribue à alimenter la nécessité d’une conformité sociale. Surtout pour les nouveaux couples désireux d’affi cher leur amour naissant au monde entier.

Les esprits chagrins qui subissent la solitude vivent la Saint-Valentin comme une double peine : elle leur rappelle qu’ils sont seuls et rend aussi leur célibat visible aux yeux de la société. Mais la SaintValentin, c’est aussi la fête de l’amitié, et il n’est pas interdit de sortir du cadre et de manifester, aux amis et êtres chers, que nous les aimons ! Et sans ambiguïté aucune. Retenons que chaque trajectoire amoureuse est singulière. Une même situation peut être vécue comme une contrainte pour certains et un libération pour d’autres. Le plus important est de se poser cette seule et unique question : suis-je bien dans ma situation actuelle ? Me fait-elle souffrir ? Si la souffrance d’une solitude subie s’invite dans notre quotidien, il est temps de se donner la possibilité de guérir de nos souffrances. La vie ne doit pas être synonyme de sacerdoce. Il n’y a aucune honte à consulter afi n de comprendre nos mécanismes, nos autosabotages pour enfi n les surmonter. Nous évoluons en permanence et il ne faut pas laisser nos traumatismes nous priver de la possibilité de l’expérience belle et enrichissante de l’altérité.