La chronique d’Audrey Van Ouytsel, docteur en Sociologie : « Les portes de la gloire »

Je vais vous narrer une expérience que j’ai vécue il y a quelques jours. Son intérêt est d’être à la portée de tous et peut contribuer à induire un réel cercle vertueux dans nos interactions quotidiennes.

De grand matin, j’étais dans une gare bruxelloise bondée, en pleine heure de pointe. Un théâtre quotidien pour la majorité des usagers des transports en commun. C’est à peine si les individus qui se croisaient prenaient la peine de se regarder. Un peu comme dans une toile du célèbre peintre Delvaux : des personnages dont les regards semblent ne jamais parvenir à se croiser. Cette scène quotidienne n’a rien d’exceptionnel, et c’est ce qui peut la rendre navrante tant elle dépeint une réalité au sein de laquelle le lien social semble inexistant, absent, hors de portée de nos intentions et de nos préoccupations. Et l’indifférence à l’autre également. Ce portrait peu fl atteur aurait de quoi déprimer un régiment de Bisounours venus sur cette terre pour y insuffl er la douceur, la candeur et la bienveillance d’une enfance idéale auprès des adultes parfois désenchantés.

Il ne tient qu’à nous d’initier un comportement positif si nous en avons la possibilité

Dans cette marée humaine, je tente de me frayer un chemin afi n de quitter ce marasme et rejoindre ma destination fi nale. Devant une double porte battante, j’ai trois choix possibles. Je peux courir derrière celui ou celle qui tient la porte en évitant d’en toucher la poignée (oui, nous sommes encore nombreux, depuis la pandémie du Covid-19 à éviter le plus possible de toucher des objets dans les lieux publics) et laisser cette porte se rabattre en plein dans la fi gure de la personne qui me suit. La deuxième possibilité est de tenir cette porte juste quelques secondes, le temps de mon passage. La dernière possibilité est de tenir la porte un peu plus longtemps, en pensant à la personne qui me succède et lui permettre de passer derrière moi sans la recevoir en pleine fi gure. C’est cette troisième option que je choisis, en y ajoutant un supplément d’âme. Je tiens la porte suffi samment longtemps pour que celui ou celle qui me suit puisse passer, je le regarde et je lui souris. Et là, c’est à un véritable miracle que j’assiste. Je vais le qualifi er de cercle vertueux. Non seulement la personne derrière moi me remercie et me sourit mais elle tient également la porte en souriant en regardant la personne derrière elle. Et la suite du passage des portes battantes se déroulera ainsi. Au moins dix personnes vont embrayer le pas sur cette initiative.

Ce que nous avons à retenir de cette petite expérience au cœ ur de notre humanité matinale, c’est d’une part qu’il ne tient qu’à nous d’initier un comportement positif si nous en avons la possibilité. D’autre part, les êtres humains fonctionnent par mimétisme, surtout quand ils se trouvent en situation d’urgence et qu’ils n’ont pas tellement le temps de réfl échir. Enfi n, nous avons tous besoin d’humanité dans notre quotidien. Avant de juger nos semblables, tentons d’abord de les reconnecter à leur propre humanité avant de déduire qu’ils en sont dépourvus.