La chronique d’Audrey Van Ouytsel, docteur en Sociologie : Voeux instantanés

xavier janssens

Je ne pouvais débuter cette chronique sans vous souhaiter une douce année 2024, une année qui rendra possible, je l’espère sincèrement, la réalisation de vos plus précieux desseins.

Avez-vous transmis vos vœux à vos proches? Par quels moyens? Via une messagerie instantanée comme plus de 70% de la population belge, un appel téléphonique, ou avec la jolie petite carte soigneusement rédigée et ensuite postée? Non, allez-vous me répondre, je n’ai ni le temps de rédiger des cartes de vœux, ni encore celui d’appeler mes proches, un petit message instantané fera largement l’affaire!

Le choix de la messagerie instantanée est désormais généralisé au sein de la société de l’urgence. Je vais vous parler de mon ami Francis, lequel, 24 heures après avoir transmis ses bons vœux à ses proches via sa messagerie instantanée, est désemparé de n’avoir aucune réaction à ses messages affichant pourtant avoir été lus par leurs destinataires. «Je me sens lâché», «j’ai l’impression que je ne compte pour personne, qu’on s’en fout de moi car on ne prend pas la peine de répondre à mes messages», m’exprime-t-il, le regard triste. Depuis 24 heures donc, Francis subit cette épouvantable tourbillon émotionnel lié à tout ce que l’absence de réactivité immédiate de Sophie, Marc et Olivier a suscité chez lui, réactivant sa profonde blessure de rejet… Pour Francis, si ses amis avaient vraiment du respect et de la reconnaissance pour lui, ils lui auraient répondu instantanément. Francis a-t-il raison de penser cela? Je le rassure: ses amis n’ont certainement pas encore eu l’occasion de lui répondre et un délai de 24 heures c’est un peu court, même si la présentation des vœux revêt un caractère symbolique indéniable, éveillant une sorte de besoin de réciprocité dans les bons présages que l’on s’adresse. Ce n’est pas parce que l’on ne répond pas immédiatement à un message que l’on manque de respect envers son interlocuteur.

Ce biais de distorsion temporelle observé chez Francis est fréquent. Une distorsion temporelle, résultant de la tyrannie de l’instant, malmène autant notre estime personnelle que nos relations sociales. La mutation du rapport au temps que nous vivons depuis vingt bonnes années avec le recours généralisé à l’instantané devient la modalité d’évaluation de la qualité des liens qui nous unissent aux autres, et nous rend très exigeants envers nos proches. Ils doivent être constamment au taquet lorsqu’il s’agit de rebondir sur nos messages. Nous sommes aussi contraints de fournir une réponse immédiate, à l’image du respect et de l’importance que l’autre revêt pour nous. Autrement dit, on en viendrait à questionner une amitié de quinze années à cause d’un délai de réponse à un message excédant les cinq minutes! Ce qui s’avère être d’une absurdité flagrante.

Le règne de l’instantané nous rend également plus anxieux et plus vulnérables. Si cela fait à mon sens partie du respect de la bienséance de répondre à un message qui nous est adressé, le délai de réponse peut varier d’une personne, d’un sujet et d’un contexte, à l’autre: il ne devrait pas générer autant d’inquiétude quant à l’image, la perception, le respect et l’estime qui nous sont attribués. Afin de dédramatiser une absence de réponse immédiate, pensez à la personnalité, à l’emploi du temps ainsi qu’aux modalités d’échanges habituelles de votre correspondant. Un délai de réponse doit bien sûr rester raisonnable. Et si au bout de quelques jours vous n’avez pas de réponse à un message d’une certaine importance, n’hésitez pas à adresser un petit rappel à l’intéressé(e). Ou à l’appeler! Le passage à l’action est redoutable contre l’anxiété, et l’assertivité importante. On suggère à Francis d’opter pour les cartes postales l’an prochain! Échapper à la dictature de l’instant et lui substituer l’apaisement d’une temporalité humaine et saine, c’est tellement essentiel à notre équilibre!