Mosaert, le label créatif belge, s’associe à MINI pour le lancement d’une voiture électrique en édition limitée. Un projet audacieux mené à bien par Paul Van Haver, alias Stromae, son épouse Coralie Barbier et son frère Luc Van Haver. Rencontre avec un trio aussi complémentaire que passionnant, à qui les défis ne font pas peur.
Mosaert s’associe à MINI pour la customisation d’une voiture électrique disponible à seulement 400 exemplaires. Qu’est-ce qui vous a séduit dans ce projet ?
Coralie : Au départ, il y avait l’idée de faire une voiture unique à customiser ou un véhicule à quantité limitée. Très vite, nous nous sommes penchés sur la deuxième proposition qui nous semblait davantage cohérente avec l’identité de Mosaert. La voiture est un support avec lequel nous n’étions pas du tout habitués. Quand MINI nous a contactés, c’était inattendu, mais très flatteur. C’est une marque iconique avec un héritage riche. Du coup, on voulait vraiment raconter une histoire ensemble.
Stromae : Défendre une voiture électrique, c’était aussi très tentant. Avant que MINI nous sollicite, j’ambitionnais déjà d’associer le label à une marque de voiture électrique. C’est très différent d’une voiture thermique. La démarche se veut plus saine, et rejoint celle qu’on veut faire transparaître avec nos vêtements. Si cette collaboration peut paraître surprenante, tant mieux, mais ce n’est pas notre objectif principal.
Luc : Chez Mosaert, il y a toujours cette volonté d’évoluer sur de nouveaux supports. C’est une manière de progresser artistiquement. Avec MINI, on peut prétendre à une certaine élégance, tout en restant populaire.
Avez-vous tout de même hésité avant d’accepter ?
Stromae : On y a longuement réfléchi, oui. On voulait être certain que MINI avait compris notre volonté de mettre en avant le label Mosaert. Quand on reçoit des demandes de collaboration, il y a parfois de l’incompréhension. Certaines marques veulent uniquement associer mon nom à un produit, en tant que simple égérie. Je ne l’ai jamais fait, et j’avoue que ça m’amuserait beaucoup moins.
On aimerait aussi collaborer avec une marque de basket.
Le véhicule arbore un look chic et très British. Quelles ont été vos sources d’inspiration ?
Coralie : Quand on pensait à la MINI, on imaginait d’emblée l’iconique verte avec le toit blanc. On ne voulait pas proposer un modèle kitsch et tape-à-l’œil. Acheter une voiture, ce n’est pas comme acheter un pull. Il faut savoir l’assumer au quotidien. On a donc fait le choix de privilégier l’élégance, tout en apportant l’ADN de Mosaert. Nous avons imaginé ce véhicule comme un accessoire de mode.
Cette collaboration s’accompagne d’une nouvelle capsule de prêt-à-porter, la Capsule 7, très épurée et comportant 18 pièces unisexes et écoresponsables. Pourquoi ce choix ?
Coralie : Le tournant s’est opéré l’an dernier avec notre Capsule 6. Notre envie était de défendre des vêtements éco-responsables, fabriqués en Europe, à partir de matières 100% recyclées et/ou biologiques, et disponibles en quantité limitée. Au départ, Mosaert proposait des modèles basés sur la wax africaine et faisant écho à l’album « Racine Carrée » de Stromae. Petit à petit, au fil des collaborations, on s’en est détaché. Pour fêter les 10 ans du label, en 2020, nous avons opté pour un nouveau logo. Plus coloré et graphique que le précédent. Il fallait le mettre davantage en évidence. Et puis, la collaboration avec MINI a été le fil conducteur de cette nouvelle capsule. Il y a une vraie cohérence avec la gamme de couleurs de la marque. Par exemple, MINI représente ses voitures électriques par un logo de couleur jaune. J’ai aussi opté pour des tissus anciens et classiques, comme le tartan ou la toile de jouy.
Cette démarche écoresponsable s’inscrit-elle également dans votre quotidien ?
Coralie : Oui ! À notre échelle, on aimerait véhiculer un message positif sur l’impact de nos actions sur l’environnement. Paul fait d’ailleurs très attention à sa manière de consommer de la mode.
Stromae : C’est vrai ! J’ai vécu une période où j’étais très extrémiste. Je n’achetais que des vêtements en matières recyclées ou en coton bio. Après, j’ai réalisé qu’il fallait être un peu plus nuancé. Aujourd’hui, le textile est la deuxième industrie la plus polluante dans le monde, juste après celle du pétrole. Ce n’est pas rien. Chez Mosaert, on essaie d’utiliser un maximum de matériaux recyclés. Il n’y a que nos tirettes qui sont encore en métal. Nous n’avons pas encore trouvé des zippers en plastique de qualité ou des polybags recyclés.
En 2021, peut-on dire que la mode à un prix ?
Coralie : Quand on achète de l’éco-responsable, c’est forcément un peu plus cher. Le prix de nos créations se justifie par le fait que tout est fabriqué en Europe, principalement en Belgique et en France. Et puis, nous avons fait le choix de ne pas être en boutique. Si ça avait été le cas, les prix auraient triplé. Nous préférons privilégier des collections limitées pour accentuer le côté exclusif de nos produits.
Luc : Il est vrai qu’on chipote beaucoup avec les prix. Notre objectif est d’être le plus accessible possible et toucher toutes les générations. Être populaire, c’est très gratifiant. On peut aussi bien s’identifier à un jeune homme un peu cool qu’à la mamie qui veut s’acheter un t-shirt.
La crise sanitaire a-t-elle eu un impact sur votre créativité ?
Coralie : Oui, énormément. Pour ma part, les confinements n’ont pas du tout été une période créative. Les jours s’enchaînaient et se ressemblaient. Avec Paul, nos idées émergent principalement en voiture, quand nous sommes en déplacement ou en voyage.
Stromae : C’était une période très creuse. Pour ma part, je suis parvenu à composer des mélodies, mais au niveau de l’écriture, c’était vide. J’ai eu beaucoup de mal, je n’avais rien à raconter. Pour coller à l’actualité, nous avions pensé à créer nos propres masques, mais Coralie n’était pas très partante. Cela aurait été une bonne idée pour ne pas déjeter les déchets de nos textiles.
La consommation de la mode a évolué avec le temps. On accorde désormais de plus en plus d’importance à la seconde main. Est-ce que ça vous parle ?
Luc : Pour moi, les friperies sont le royaume de la déception. On y trouve des pièces incroyables, comme des vieux vestons avec des épaulettes à l’ancienne et des coupes qui n’existent plus aujourd’hui. Puis, une fois porté, c’est soit trop petit ou trop grand. Quand on a un physique qui n’est pas standardisé, c’est difficile d’acheter en seconde main.
Coralie : Personnellement, mon côté écolo s’est développé grâce à la seconde main. J’adore chiner et me procure des pièces qu’on ne trouve nulle part ailleurs. Vous savez, pour la première fois, j’ai l’impression d’être dans la boucle de la mode. C’est étrange de voir des mannequins, comme Bella Hadid, habillées comme je l’étais à 18 ans. Grâce à elles, j’apprends à aimer ces looks qui me semblaient passés de mode. Le plus intéressant est de savoir mélanger les styles. Trop de vintage, ce n’est pas la meilleure idée.
Stromae : Moi, j’ai redécouvert le pantalon qui tombe sur les chaussures, comme les baggys ou les pattes d’eph. Ça nous donne un coup de jeune ou un coup de vieux. Ça dépend comment on voit la chose ! (Rires)
Êtes-vous du genre à suivre les tendances ?
Coralie : Avant, je suivais les défilés avec assiduité. Je suis une grande victime de la mode, ce n’est un secret pour personne, mais je suis davantage intéressée par la grande distribution. Je m’inspire aussi énormément des influenceurs sur les réseaux sociaux, et du street-style. Il n’y rien de plus inspirant que de s’asseoir sur un banc et regarder les gens passer.
Stromae : En fait, on est plutôt du genre à suivre les tendances dans notre façon de s’habiller. En revanche, on se détache complètement de ce qui se fait déjà quand il s’agit d’un projet relié à Mosaert.
Nous avons vécu des moments d’effervescence intense, notamment lorsque «Racine Carrée» a explosé
Luc, est-ce une force de travailler avec votre frère ?
Luc : Bien sûr. Nous n’avons jamais fonctionné autrement. Travailler en famille nous offre des facilités qu’on ne remarque plus. Nous avons vécu des moments d’effervescence intense, notamment lorsque le projet « Racine Carrée » a explosé. Comme nous avons grandi ensemble, aussi bien humainement qu’artistiquement, cela nous a offert une grande confiance mutuelle. Mon frère m’a surtout transmis sa méticulosité.
Stromae : Nous avons grandi dans une culture familiale très exigeante. Chez nous, on pointait toujours ce qui n’allait pas. Nous n’étions jamais dans la flatterie. On le remarque d’ailleurs dans notre façon de travailler. C’est d’ailleurs parfois vexant pour les personnes avec qui on collabore. Ce n’est pas naturel pour nous de faire des compliments. Cela dit, quand on travaille en famille, le plus difficile est de savoir se déconnecter de nos projets professionnels. Par exemple, dès que la femme de Luc est présente, on met tout de suite le travail de côté. Par politesse.
« Mon absence me fait du bien mais n’est pas définitive »
Stromae, à quand la sortie d’un nouvel album ?
Je n’ai pas encore de date à annoncer. Je continue à faire de la musique, je n’ai jamais vraiment arrêté. Je travaille, et je m’amuse énormément. Je suis conscient qu’il y a de la demande. Mon absence me fait du bien, mais n’est pas définitive. J’en profite pour m’occuper de mon fils de deux ans et demi. Et puis, ce n’est pas comme si je ne travaillais plus. Je suis juste beaucoup moins médiatisé.
Le manque de la scène se fait-il tout de même ressentir ?
Ça dépend. Quand je suis dans la phase de composition, j’ai parfois des flashes et des idées qui arrivent. En fait, j’ai peur de ne pas pouvoir suivre physiquement. La scène est un exercice physique de deux heures qui n’est pas à négliger. Normalement, ça devrait bien se passer, même si j’ai pris un petit peu de poids. (Rires)
« On n’est pas dans le cliché de l’homme et de la femme d’affaires »
Comment envisagez-vous l’évolution de Mosaert ?
Luc : On souhaite poursuivre notre démarche écologique, tout en étant le plus transversal possible. On veut continuer à bousculer les codes, sans se répéter ou créer la lassitude. On ne s’interdira jamais d’explorer de nouveaux univers. Nous avons d’ailleurs des projets liés à l’architecture.
Stromae : On aimerait beaucoup customiser un hôtel ou collaborer avec une marque de basket. On préfère se laisser surprendre, tout en restant cohérent avec l’identité du label. Par exemple, nous avons déjà refusé une collaboration avec une marque de montres avec laquelle on ne se reconnaissait pas, d’un point de vue artistique. En ce qui concerne la musique, j’aimerais beaucoup travailler avec Adèle.
En 10 ans, votre label a pris une ampleur considérable. Vous considérez-vous désormais comme des chefs d’entreprise ?
Stromae : Oui, en quelque sorte. Nous sommes tous actionnaires de Mosaert. Même si j’ai le plus de parts dans la société, je n’ai pas forcément toujours le dernier mot. Il n’y a pas vraiment de hiérarchie entre nous. On privilégie surtout les discussions.
Luc : Il existe une part de responsabilité supplémentaire, mais nous ne sommes pas dans le cliché de l’homme et de la femme d’affaires. Pour moi, Mosaert est comme une boîte d’artisans où chacun essaie de faire de son mieux, sur base de son domaine de prédilection. On tient à conserver notre cocon de six personnes.
Coralie : Au fil des années, Mosaert s’est tout de même professionnalisé. Aujourd’hui, nous avons nos propres bureaux. Nous avons des horaires plus convenables. Personnellement, je ne me considère pas du tout comme une businesswoman. Nous avons tous été formé auprès de Paul, mais on peut tout à fait prendre des décisions sans le concerter.