La chronique d’Audrey Van Ouytsel, docteur en Sociologie : « Éloge de la gentillesse »

J e vais vous parler aujourd’hui de gentillesse. La gentillesse recouvre des sentiments que l’on nomme également empathie, générosité, altruisme ou encore bienveillance. La gentillesse, c’est une disposition favorable à l’égard d’autrui, une ouverture désintéressée à l’autre. Elle se décline de différentes manières: un service inattendu rendu, un plaisir anticipé, un sourire sincère, l’expression d’une profonde mansuétude à l’égard de l’autre en souffrance.

De nos jours, la gentillesse devient connotée. Elle inspire de la méfiance et ses manifestations sont souvent jugées moralistes, sentimentales ou hypocrites. Ou encore, la manifestation d’une faiblesse, l’expression d’une domination sociale ou d’un manque de subtilité. On connaît tous l’expression, «il/elle est gentil(le)» pour décrire, sourire sarcastique aux lèvres, la gentillesse d’une personne dépourvue de subtilité.Ce cliché du gentil idiot, entretenu notamment au cinéma, a encore de beaux jours devant lui.

Pourtant, la gentillesse serait davantage l’aptitude des gens intelligents à déployer un type d’altruisme indispensable à la survie de notre espèce. La gentillesse nous incite à sortir de la performance, à nous extraire d’un rapport de force pour nous connecter à quelque chose qui nous relie à l’autre, et qui nous rend potentiellement vulnérable. La gentillesse ne devrait donc ni être l’opposé de l’intelligence, ni celui de l’authenticité. La gentillesse est davantage un signe d’équilibre et de santé mentale que l’inverse. En plus, elle contribue à notre bien-être. Mais pour opter pour la gentillesse, il faut se sentir sécurisé soi-même, c’est à dire, ne pas avoir trop d’attentes envers l’autre et agir dans l’idée d’une forme de bien commun en alignement avec nos valeurs cardinales. Sachons que les enfants naissent altruistes et bienveillants, et que c’est la société, qui, via les divers moyens de socialisation (parents, écoles, fréquentations) va les formater en petits individualistes au travers d’attitudes de délégitimation et de découragement à adopter certains comportements altruistes à l’égard des autres. «Ah tu vois, Victoire ne veut plus jouer avec toi et maintenant elle te rejette, tu as été trop gentil avec elle!» Nos insécurités, nos peurs, nos besoins de dominer pour mieux contrôler font de nous des phobiques de la gentillesse. Derrière ce constat d’une perte ou d’une dévalorisation sociétale de la gentillesse se situe un enjeu essentiel: celui de sa réhabilitation. Notamment, au travers d’une certaine clarification autour de ses usages.

Alors, comment être gentil en évitant d’être pris pour un décérébré, ou encore comment détecter la vraie gentillesse dans les comportements de l’autre? Si nous avons baigné dans des valeurs de respect et de bienveillance, les incarner au quotidien fait de nous des gens authentiques et sincères. On peut être quelqu’un de gentil et poser son cadre et ses limites: un gentil a parfaitement le droit de dire «non»: en cas d’abus, vous avez parfaitement le droit d’écarter l’abuseur et de ne plus le fréquenter. Et si on vous taxe de méchant car vous posez vos limites, c’est que l’on vous prend pour un pigeon, certes un gentil pigeon, mais un pigeon. Et un vrai gentil n’est pas un pigeon. Le secret de la gentillesse est de ne jamais se sentir contraint d’être gentil et de la déployer dans un environnement au sein duquel elle sera valorisée et considérée. Comment reconnaître les vrais gentils? En toutes circonstances, qu’ils soient acculés par le succès ou par les difficultés, les vrais gentils restent aimables et soucieux des autres. Ce qui est magique avec la gentillesse, c’est d’observer ce qu’elle procure aux désenchantés et aux endeuillés de l’existence, qui ont accumulé les marques de rejet et les désillusions: notre gentillesse va contribuer à les réparer, à les réenchanter et à leur redonner foi en la nature humaine. Soyez vrais tout en restant gentils!