La chronique d’Audrey Van Ouytsel, docteur en Sociologie : « Quand un seul être nous manque »

En cette période de Toussaint, nous allons rendre hommage à nos disparus en allant fleurir leurs tombes. Un moment solennel mais parfois douloureux et contraignant.

Perdre un être cher nous laisse souvent dans un profond état de désespoir et d’incomplétude. Perdre un proche, c’est se sentir dépouillé d’une partie de soi-même, abandonné et parfois forcé de redonner un nouveau sens à notre existence. La vie est une succession de deuils qui vont nous faire grandir, maturer et évoluer. Mais tout deuil porte également en lui un potentiel de changement, de renaissance, de reconstruction et de croissance. S’il nous impose de passer par la consternation, le déni, la colère, la tristesse et l’acceptation, le deuil ne se limite pas à une succession figée de ces états. Comment vivre de la manière la plus authentique possible la perte d’un être cher ?

Helena a perdu son papa inopinément il y a quelques mois : c’est avec des sanglots dans la gorge qu’elle me confie à quel point elle souffre de son départ. Sa photo est désormais posée sur sa table de nuit avec ses boutons de manchettes. Fleurir sa tombe est pour elle une souffrance innommable car ça la contraint de conscientiser qu’il n’est plus de ce monde : « Quand je vais au cimetière et que je me retrouve face à sa tombe, je l’imagine dans son cercueil. Je ne voulais pas perdre mon papou. J’avais encore besoin de lui même si nos rapports n’ont jamais été faciles. Je n’ai que 25 ans. Mais il va falloir aller déposer des fleurs sinon la famille va penser qu’on ne respecte pas sa mémoire »

Personne ne peut nous imposer de timing dans la guérison du cœur

Jean-Claude, 55 ans, a perdu son épouse des suites d’une longue maladie il y a cinq ans. L’ayant accompagnée dignement jusqu’au bout du voyage, il se rend très rarement au cimetière à la Toussaint, privilégiant les rituels plus intimistes : « À chaque anniversaire de mariage, à chacun de ses anniversaires et à chaque fête des Mères je dépose, avec mes filles chéries, une rose sur sa tombe et je fais brûler une bougie de sa senteur préférée dans le salon. Et je sens sa présence. Mais la Toussaint franchement, ce n’est pas un moment qui a beaucoup de sens pour moi »

Un deuil est fondamentalement intime et singulier. Il dépend du type de lien et de la qualité de la relation entretenue avec le défunt, mais aussi des circonstances du décès, de la nature profonde de l’endeuillé et de sa culture. Il importe de s’autoriser à vivre et à exprimer son deuil : personne ne peut nous imposer de timing dans la guérison du cœ ur. Et nous n’avons certainement pas à nous sentir coupable de nos états d’âme. L’expression de nos émotions peut passer par l’écriture qui est un véritable allié pour notre guérison. Ensuite, on vit d’autant mieux un deuil quand on est bien entouré. Pour gérer l’absence de ceux qui nous manquent, nous pouvons également initier de petits rituels qui vont autant nous rassurer que nous permettre de nous sentir toujours connectés à nos disparus. Enfin, il est souvent utile de consulter : la neutralité, la bienveillance et l’expertise d’un thérapeute sont les bienvenues pour accompagner la guérison de traumatismes qui émergent lorsque des deuils antérieurs, longs et dévastateurs, n’ont pas été colmatés.