La chronique d’Audrey Van Ouytsel, docteur en Sociologie : « Coupable d’être fatigué »

L’automne est désormais bien là. Chez certains, la fatigue s’est déjà immiscée dans le quotidien.

Valérie, 35 ans, responsable des ventes dans une entreprise, se sent épuisée depuis sa reprise à la mi-septembre, après ses congés annuels : « J’ai l’impression que le bénéfice des congés a déjà disparu. Je me sens vidée de ma substance au boulot. Je sais que mes collègues me voient différemment en ce moment. Je me sens nulle, incompétente ». Valérie aurait sans doute besoin de pouvoir souffler, et surtout de s’autoriser à souffler. Cette situation n’est pas un cas isolé. Ce qui est interpellant, c’est ce sentiment de culpabilité et cette colère retournée contre elle-même avec ce sentiment d’être perçue comme « différente » par ses collègues. Cette tendance sociétale est très présente en occident.

Dans notre société marquée par un idéal de la performance, nous sommes principalement reconnus par les autres à travers nos actions et nos accomplissements. Performer, c’est aussi se sentir reconnu et intégré dans son univers professionnel. La moindre manifestation d’un ralentissement de rythme est souvent mal perçu, voire sanctionné par un jugement négatif. Pour les hommes comme pour les femmes, la réalisation de soi passe impérativement par la nécessité de se donner sans compter dans son job au risque de subir l’étiquette négative du « fonctionnaire » ou du « loser ».

Un cercle vicieux peut se lancer : notre corps et notre esprit encaissent jusqu’à l’émergence d’états dépressifs

Si on ne se sent pas d’aplomb ou que l’on n’affiche pas une motivation explosive au travail, l’estime de soi en prendra un sacré coup. Une perception négative de la part des proches renforcera le malaise et le sentiment d’une profonde inadéquation au monde actuel. Le cercle vicieux est lancé : notre corps et notre esprit encaissent jusqu’à l’émergence d’états dépressifs. Nier une situation de fatigue physique et psychique peut en effet nous mener loin. On pense notamment au burn-out, la maladie professionnnelle du siècle induite par une course à la performance insensée et un problème fondamental de sens au travail.

Nous pourrions tenter de comprendre Valérie : s’est-elle suffisamment reposée durant ses congés ? A-t-elle veillé à mettre en place de bons réflexes pour en maintenir le plus longtemps possible les effets positifs tels qu’une bonne hygiène de vie, une alimentation saine, de l’activité physique, l’octroi de moments de déconnexion et l’entretien d’un esprit de positivité ? Rencontre-t-elle des difficultés de sens au travail ? Se sent-elle reconnue dans la profession qu’elle exerce ? Les causes peuvent être multiples et c’est au cas par cas qu’il faut aborder la question sans jugement.

Apprenons à nous libérer de notre culpabilité, laquelle est la manifestation des injonctions sociétales et éducatives que nous avons intériorisées depuis notre plus tendre enfance. Pratiquons l’écoute bienveillante de soi. Acceptons nos états de fatigue sans nous auto-flageller. Développons une meilleure écoute de nous-mêmes : de quoi ai-je besoin en ce moment ? Qu’est-ce qui me met dans un tel état de fatigue ? Que pourrais-je mettre en place pour me sentir mieux ?